Marie-Cécile Naves est directrice de recherches à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Elle a notamment publié : Trump, la revanche de l’homme blanc, aux éditions Textuel. Elle aborde la violence politique aux Etats-Unis et les conséquences de l'attentat de Butler ( Pennsylvanie) contre Donald Trump.
Constatez-vous une intensification de la violence politique aux États-Unis ?Cette tentative d’assassinat s’inscrit à la fois dans une histoire longue, il y a déjà eu quatre présidents américains assassinés et il y a eu beaucoup de tentatives, la dernière étant celle contre Ronald Reagan il y a plus de quarante ans. Mais elle s’inscrit aussi dans une histoire plus courte où la violence politique n’a cessé de s’intensifier depuis une dizaine d’années. Il y a eu des tentatives d’attentats contre des personnalités politiques.
La dernière en date, en 2022, c’est l’agression au marteau et à son domicile de l’époux de l’ancienne présidente démocrate de la chambre des représentants Nancy Pelosi. Une attaque perpétrée par un complotiste d’extrême droite. Plusieurs femmes politiques démocrates ont également été blessées par balle ou visées par des menaces de mort.
La violence politique est de plus en plus préoccupante dans un cadre de montée en puissance du complotisme
Autre élément à prendre en compte : Les Etats-Unis est un pays malade de ses armes à feu. Samedi, des témoins ont vu un homme monter sur un toit avec un fusil d’assaut. Ce n’était manifestement pas un policier et ça n’a pas inquiété plus que ça.
Cet attentat ne risque-t-il pas de déchaîner le complotisme ?Oui, c’est parti, c’est l’explosion de théories complotistes. Ce serait la faute des démocrates, des gauchistes. Et on voit des alliés de Trump reprendre ça en France ! L’un des premiers à avoir réagi est le sénateur républicain JD Vance, pressenti pour être colisitier de Trump et qui prétend que c’est la réthorique de Joe Biden qui "a directement conduit à cette tentative d’assassinat, car elle présente Trump comme un fasciste qu’il faut arrêter à tout prix".
Il y a une récupération politique et la construction d’un récit complotiste chez les Républicains les plus durs.
Et tout ceci intervient à la veille de la convention de Milwaukee, au cours de laquelle Trump va être désigné candidat officiel. Il y a un « timing » tout à fait stupéfiant.
Les images de l’attentat ne sont-elles pas “tout bénéfice” pour le candidat Trump ?
Il faut voir. C’est vrai qu’il lève le poing, la photo marque, évidemment. Ça alimente son récit personnel, viriliste, celui de l’homme qui se relève de toutes les attaques ; qui a beaucoup d’ennemis, qui peut être à terre et se relève de tout : des faillites, de l’adversité politique et là, d’une tentative d’assassinat. Mais il ne faut pas en tirer de conclusions hâtives sur l’élection. Car ce récit plaira à un électorat déjà ultra-convaincu.Est-ce que cela peut jouer sur un électorat plus indécis voire sur l’électorat qui hésite à aller voter ? C’est chez ces gens-là que Trump doit aller chercher des voix. Ensuite, cet attentat va nourrir aussi un récit démocrate, qui ne sera pas complotiste, mais plutôt en faveur du programme demandant la régulation du libre port d’armes.
Un sursaut du peuple américain face à cette violence est-il envisageable ?
C’est possible. Le discours dominant que je lis aujourd’hui sur les réseaux sociaux et dans les médias, c’est “Trump a gagné”. C'est une conclusion prématurée, car cet événement peut avoir un effet de mobilisation en faveur d’un vote d’apaisement. Et Trump n’est pas la bonne option, au contraire.
Pour moi, les jeux ne sont pas faits. L’impact politique viendra du récit qui parviendra à s’imposer.
Aux États-Unis, aujourd'hui, on réagit au commentaire politique et aux instrumentalisations plus qu’aux faits eux-mêmes. En fonction d’où l’on s’informe et comment, on n’a pas la même vision. Notons qu’en France, nous suivons le même chemin.
Recueilli par Julien Rapegno
