Du chemin, on n’aperçoit pas les archéologues. Les fouilles sur le site préhistorique mondialement connu de Châtelperron, se font loin des regards.
À l’est du département de l’Allier, Châtelperron a donné son nom à une période de la Préhistoire, le Châtelperronien, il y a environ 40.000 ans, et en reste une référence mondiale. Les archéologues mènent une nouvelle campagne de fouilles, sur le site de la Grotte des fées, après trois premières campagnes en 2021, 2022 et 2023, portées par le Service régional de l’archéologie (DRAC Auvergne-Rhône-Alpes), avec le laboratoire Traces (Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés) de Toulouse, et l’université allemande de Tübingen. Le site restait paradoxalement méconnu des scientifiques d’aujourd’hui, les dernières fouilles remontant aux années 1960, sur ce site découvert au milieu du XIXe.
Archéologues professionnels et étudiants fouillent le site. Une équipe internationale.
Depuis 2019, de nouvelles campagnes d’études et de fouilles sont menées, chaque année en juin. Ces fouilles avaient été précédées de deux années de prospections. "Nous avons fait beaucoup de nouvelles découvertes", relate Raphaël Angevin, conservateur du patrimoine au Service régional d’archéologie d’Auvergne, responsable des fouilles.Les fouilles archéologiques menées en juin à Châtelperron, à l'arrière des grottes. Photo Corentin Garault
Les fouilles se sont concentrées, cette année, sur deux sites. D’abord, au cœur du site, dans le secteur de la grotte dite effondrée. "Nous ne sommes pas dans une région de grottes", rappelle Raphaël Angevin. "Nous sommes sur un petit massif calcaire, proche du Graveron, petit effluent de la Besbre, qui se jette dans la Loire. C’est un calcaire de mauvaise qualité qui a été utilisé pour produire de la chaux. Ces grottes présentent 3 à 5 mètres de largeur sur 15 mètres de profondeur. Toutes sont interconnectées, avec un effet gruyère. Sur cette zone située à l’arrière des deux grottes, à la pente abrupte, les archéologues essayent de comprendre si le site dit que la grotte effondrée est bien une grotte". "On essaye à la fois de comprendre les fouilles qui avaient été menées il y a soixante ans et de livrer une nouvelle interprétation du secteur". Une vraie enquête, rendue difficile par les diverses fouilles menées sur le site, qui nécessite de consulter sans arrêt les comptes rendus de fouilles et plans anciens.
Vestiges en placeLa nouvelle cavité découverte a été nettoyée de ses déblais.
Dans la nouvelle cavité découverte. Ils ont mis au jour une nouvelle cavité, une entrée de boyau d’un mètre de hauteur, remplie des déblais de l’ancienne carrière de calcaire, qu’il a fallu entièrement dégager, jusqu’au rocher. Une seule couche de terre était préservée, elle a révélé des silex et animaux préhistoriques. "Une tanière de hyènes et des carnivores, bovidés, chevaux, qu’elles avaient consommés, et d’ours des cavernes. On sait que l’homme a été présent à plusieurs reprises sur le site. Reste à comprendre comment ça s’organise dans le temps. On sait qu’on a une recrudescence de hyènes, il y a 45.000 ans en Europe. La période châtelperronienne vient après, hommes et carnivores se sont donc succédé sur le site".
Vue sur l'arrière du site archéologique de Châtelperron. Photo Corentin Garault
Deuxième zone de fouillesLa deuxième zone de fouilles, en contrebas du site, sur 50 m2 jusqu’à 3 mètres de profondeur, révèle, bingo, un secteur pas perturbé par les fouilles anciennes, avec "le kit préhistorique complet, avec du Moustérien (Paléolithique moyen, entre 350.0000 et 35.000 ans avant notre ère), du Châtelperronien et enfin de l’Aurignacien, plus récent". Soit des ossements très abîmés, auroch, bisons, ours des cavernes, silex travaillés par l’homme : "On a aussi découvert de la céramique sigillée romaine. Ce que ça signifie ? Pour l'instant, on ne sait pas". Dans les couches supérieures, les archéologues ont aussi mis au jour des objets d’un temps bien plus récent : "Clous de chaussures, ouvre-boîtes… Les vestiges laissés par les hommes des siècles précédents".
Le terrain limoneux et les vestiges, très abîmés, rendent les fouilles difficiles. Photo Corentin Garault Ces silex châtelperroniens ont été déplacés par la rivière, dont le lit a évolué. Des grains de quartz ont pu être datés à 25.000 ans, grâce à la technique OSL (luminescence optiquement stimulée). Après le Châtelperronien, la rivière déborde, vers les entrées des cavités et emmène les éléments. En dessous encore, dans la terre limoneuse, silex et ossements de faune associés datent du Moustérien récent, 60.000 ans : mammouth, rhinocéros laineux, renne, cheval, lion des cavernes. On a donc affaire à des hommes installés sur la rive de la rivière. Des ossements et silex abîmés, éclatés, comme des demi-mâchoires de bison qui ont nécessité une fouille fine. On travaille avec l’université d’Aix-en-Provence, pour des datations précises au carbone 14". Ce mois de fouilles sera suivi de plusieurs semaines d’études.
Fouilles dans le champ en contrebas des grottes de Châtelperron. Photo Corentin Garault
Quel intérêt ?
Cela nous permet de savoir quels animaux l’Homme chassait, mangeait. On apprend la relation entre l’Homme, la rivière, les carnivores, on améliore la connaissance de ce site paléolithique. Les grottes étaient rares dans le paysage, dans cette région, elles étaient donc très repérées. Ce qu’on constate, c’est que quand les hommes n’y sont pas, les hyènes et ours des cavernes y sont
Parmi le mobilier mis au jour, des silex châtelperroniens dont la pierre provient de Saligny-sur-Roudon, d’autres de Vierzon, plus fins, caractérisés par leur couleur gris-blond.
Raphaël Angevin, archéologue du SRA, dirige les fouilles. Photo Corentin Garault
"On sait que les hommes préhistoriques n’hésitaient pas à parcourir de grandes distances pour se procurer leur matière première, choisie avec soin, comme à notre époque. Il y avait aussi sans doute des choix esthétiques". Les fouilles doivent se poursuivre au moins jusqu’en 2025. Car reste à faire le lien entre les deux sites, et donc à creuser sous le chemin qui sépare les grottes et le champ, pour continuer de chercher à comprendre les liens entre les grottes et les berges de la rivière.
Fouilles archéologiques à Châtelperron. Ossement encore en terre, dans le champ en contrebas du site. Photo Corentin GaraultSilex mis au jour en juin 2024 à Châtelperron. Photo Corentin Garault Recherche de restes humainsLes archéologues espèrent aussi trouver des restes humains : "Le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin, professeur au Collège de France, successeur d’Yves Coppens, nous a proposé de travailler ensemble", explique Raphaël Angevin. « Il analyse les protéines des ossements, et l’ADN, pour déterminer qui sont les auteurs du Châtelperronien. S’agit-il de Néandertal ou d’Homo Sapiens ? Les recherches actuelles travaillent sur l’hypothèse que Néandertal aurait était plus présent plus longtemps, jusqu’à il y a 35.000 ans, en Europe du Sud".
Il faut d’abord déterminer si des ossements sont humains, parmi tous ceux mis au jour. "Pour cela, les analyses se font aujourd’hui avec de nouvelles méthodes, sur l’infiniment petit". Ce travail d’enquête, passionnant, se poursuit.
Ariane Bouhours