Dimanche soir, Tailler la route, Retiens les rêves… Depuis dix-huit ans, sa voix profonde et ses chansons, pleines d'émotion, aux textes finement ciselés, nous accompagnent. Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, se produira sur scène de Brive festival ce vendredi 12 juillet.
Ses premiers pasVos débuts de slameur ont lieu dans un bar, Place de Clichy à Paris, où vous avez déclamé Cassiopée, votre premier texte de slam sur scène. Qu’est-ce qu’il racontait ?
Il racontait de manière assez poétique de ce qui m'est arrivé. Je ne parlais pas d'accident lui-même (*), qui a eu lieu la nuit et en plein air, mais, j'imaginais une conversation entre moi et les étoiles qui en étaient les témoins.
Comment vous avez rencontré Jean-Rachid, que vous définissez comme « un ouf, un peu comédien, qui voulait arrêter la scène pour se lancer dans la production « ?
Il est devenu producteur, en me produisant (rires). Il m'avait vu slamer dans un bar. Il avait aimé. On a très vite sympathisé. J'avais déjà plusieurs textes "en magasin" et une petite maquette. Il était le premier qui s'est dit que ça pouvait plaire au grand public. Et il a décidé de me produire de manière complètement indépendante.
Une collaboration ... sans contrat !Vous travaillez toujours avec le même producteur et sans aucun contrat .
Il y a eu un pseudo-contrat au tout début, qui est arrivé à échéance très vite. Et puis, on ne l'a jamais renouvelé officiellement. J'ai la chance d'avoir une confiance absolue en Jean-Rachid et la même vision de ce que peut être une carrière. On n'est pas là pour faire des coups, mais, pour essayer de durer le plus longtemps. On est assez connu dans le milieu pour être un binôme soudé, très loyal l'un envers l'autre.
C’est Jean-Rachid qui a organisé votre premier concert en solo au Réservoir à Paris. Qu’est-ce que vous avez ressenti avant de monter sur scène, où vous deviez faire 45 minutes à capella, ce que vous n’avez jamais fait avant ?
J'avais un trac monstrueux. Le slam est un truc collectif. D'habitude, je venais et disais un ou deux textes. Puis, les autres slameurs prenaient le relais. L'adrénaline était particulièrement élevée à ce moment-là.
Photo : Francis CampagnoniSur scène, j'ai très vite senti, que j'étais à ma place.
À la fin, tout le monde s'est levé pour une standing ovation. Jean-Rachid était comédien et humoriste et il connaissait beaucoup de gens dans les milieux de musique, cinéma ou humour. Il a pris le risque, pour mon premier petit concert, de les inviter tous pour essayer de faire monter le buzz.
Un premier album vendu en 700.000 exemplairesVotre premier album Midi 20, enregistré en seulement trois mois et sorti en mars 2006, s’est vendu en 700.000 exemplaires. Comment on se relève, on garde la tête froide après un tel succès ?
Je n'ai pas la formule magique. Aujourd'hui, je sais ce que représente le chiffre de 700.000 disques vendus. C'est quelque chose d'absolument fou qui n'arrive que rarement. À l'époque, j'étais loin de l'industrie du disque. J'ai surtout fait de la scène tout de suite sans trop essayer de comprendre ce succès.
Quel rapport avez-vous à la célébrité ?
Je la vis très bien. Elle a beaucoup d'avantages, comme la reconnaissance du public dans la rue pour te remercier, te dire un mot gentil. Il y a beaucoup de choses très agréables. Après, il y a des aspects qui pourraient être un peu plus embêtants. Des fois, quand tu es en famille, tu n'as pas forcément envie qu'on t'arrête dans la rue. Mais, en même temps, les gens sont toujours hyper respectueux et ce n'est même pas désagréable.
Photo : Francis CampagnoniSurtout, ce n'est pas cette notoriété qui m'a fait changer quoi que ce soit. Je continue à aller dans les mêmes cafés, au cinéma, je garde les mêmes potes. Je n'ai pas changé ma vie à cause de la célébrité.
Monsieur Aznavour, un film importantPour vos premiers pas, vous avez été parrainé dans les médias par un certain Charles Aznavour. Comment vous l'avez rencontré ?
Je l'ai rencontré grâce à Jean-Rachid. Parler musique avec Charles Aznavour, c'était un grand privilège. Il ne me donnait pas forcément des conseils, mais, toutes les anecdotes de sa carrière, qu'il m'a racontées, ont été, évidemment, un puits de conseils. Il a été très bienveillant avec moi. Je crois qu'il aimais ce que je faisais. J'ai eu la chance de faire un duo avec lui et il m'a demandé d'écrire le texte pour nous deux. J'avais cette responsabilité-là.
Dix-huit ans après l'avoir rencontré, vous coréalisez avec Mehdi Idir votre troisième film, Monsieur Anavour, dont la sortie est prévue le 23 octobre. Il faut du courage pour s’attaquer à un tel monument.
Il faut même un peu d'inconscience. Ce courage, on l'a trouvé dans le fait que Charles Aznavour, lui-même, avait validé l'idée de ce film, avec nous comme réalisateurs. On devait même commencer à l'écrire à l'époque où il était encore là. On s'est dit "ça va être génial d'aller le voir chez lui. On voulait lui poser énormément de questions. Malheureusement, il est décédé avant même qu'on écrive les premiers mots du scénario. Du coup, on s'est dit qu'on n'allait pas faire le film à ce moment-là. On a attendu quelques années, on a fait un autre film avec Mehdi. Puis, on a eu l'envie que ça se fasse et la famille de Charles Aznavour aussi. On voulait raconter la jeunesse, l'avant-succès d'Aznavour.
Comment Tahar Rahim est devenu Charles Aznavour ?Comment Tahar Rahim s’est préparé pour jouer le rôle principal. Comment a-t-il vécu dans la peau de Charles Aznavour pendant six mois de tournage ? Il a bossé comme un fou. Il a étudié des heures et des heures d'interview d'Aznavour, des images de scène. Il avait tout capté et notamment sa gestuelle. Il a pris des cours de chant, de piano... Il ne quittait plus le rôle. Même quand il rentrait chez lui, il parlait tout le temps en Aznavour. Il l'a incarné complètement, il a été complètement habité par le personnage.
Reflets, un album de maturitéGrand Corps Malade présente à Brive son huitième album, Reflets.Vous allez présenter à Brive votre huitième album, Reflets.
L'idée de cet album et de cette tournée, c'est qu'il y a beaucoup de thèmes différents. J'aime bien passer d'un numéro à l'autre : d'un texte engagé, dur et grave qui parle d'une actualité difficile à un autre, beaucoup plus joyeux. Le but pour moi est de jouer avec les différentes humeurs.
En 2021, le 24 juillet, vous êtes déjà monté sur scène de Brive Festival. Est-ce que vous vous souvenez de ce concert, le même soir que ceux de Hochi et de Claudio Capéo ?
Je garde vraiment un très bon souvenir de ce passage à Brive. C'était peu de temps après le Covid, les choses renaissaient et il y avait beaucoup d'enthousiasme, dans le public. En coulisses, l'organisation était aussi très chaleureuse, avec des espaces sympas. Après le concert, je me souviens d'une petite fête improvisée.
L'extraordinaire pouvoir des chansonsQu’est-ce que ça vous fait de savoir que sur vos chansons les gens dansent, draguent, pleurent ?
C'est la plus belle reconnaissance de voir que les petites chansons que tu écris sur ta petite table chez toi, voyagent, entrent dans la vie des gens et deviennent des repaires pour eux. Ils se rappellent la première fois où ils les ont entendues. Certaines d'entre elles, souvent les plus personnelles, deviennent des chansons d'un couple, d'un mariage. Ça leur donne un côté universel et c'est ce qui est le plus beau dans la musique. Depuis Depuis dix-huit ans, la voix profonde et les chansons de Grand Corps Malade nous accompagnent. Photo : Francis Campagnoni.
Où on puise la force et la concentration pour être bon tous les soirs ? Avez-vous déjà frôlé l’épuisement ?
Ça va, la tournée est bien organisée, en général, je joue deux-trois soirs d'affilée, avec ensuite, quelques jours de repos, avant d'enchaîner. On voyage dans de bonnes conditions. Le plus dur est déjà passé. On a fait une énorme saison d'hiver, avec trente dates en soixante-dix jours. C'est très rare. Cet été, avec une vingtaine de dates, j'aurai un bon rythme, mais moins soutenu. Puis, on fera une dizaine de dates l'hiver prochain.
Le vote de Grand Corps MaladeQu'est-ce que vous vous souhaitez pour l'avenir ?
De continuer d'avoir envie. Évidemment, si le succès continue, c'est bien aussi, mais, surtout, continuer à être inspiré et à avoir envie d'écrire des chansons.
Vous êtes un artiste engagé. Quel regard portez-vous sur les fortes turbulences que traverse la France en ce moment et les élections législatives ?
Je suis effondré de savoir l'extrême droite aussi proche du pouvoir. Je pensais que ça n'arriverais jamais. Maintenant, c'est une réalité. En ce qui me concerne, je vote pour la bienveillance, la tolérance et la mixité.
Vendredi 12 juillet à Brive festival : Nuit Incolore, Soolking, Grand Corps Malade et Mossiman. Tarif : 49 €. Il reste encore quelques billets sur le site de Brive Festival.
(*) Le 16 juillet 1997, alors qu'il est animateur dans une colonie des vacances en Vendée, Fabien Marsaud fait un plongeon dans une piscine insuffisamment remplie. Sa tête heurte le fond. Depuis, il vit avec un handicap physique.
Propos recueillis par Dragan Perovic