Leur maison se trouve à 800 mètres de la sortie de Guéret, en lisière d’une forêt. Le trafic nocturne (et même diurne) dans leur jardin est intense. Il semble que toute la faune de la Creuse se donne rendez-vous chez Julie, Quentin et Lilas. Il y a même des « invités surprise ».
Jean de La Fontaine aurait pu y trouver le motif d’une fable : que peuvent bien se raconter maître renard et son compère blaireau quand ils se croisent dans un sous-bois ? Ces deux carnassiers sont du genre à se chicaner. Sans grande malice de part et d’autre apparemment. Nous avons en effet assisté à cette rencontre électrique survenue au plus profond de la nuit creusoise il y a quelques semaines. Depuis un écran.
Cette scène rare, digne d’un documentaire animalier, a été partagée sur son compte Facebook par Julie Ho Hoa, journaliste de profession (1) qui espionne en continu l’intense vie sauvage qui prospère « entre 10 mètres et 100 mètres » de son lit. Une petite communauté de fans de ses vidéos s’est formée, guettant le scoop animalier.La famille renard en balade @ Julie Ho HoaAussi passionnée soit-elle, Julie, maman d’une petite Lilas de 5 ans, ne se voit pas enfiler une tenue de camouflage et passer ses nuits à l’affût dans son jardin. Elle regardait auparavant des chaînes de naturalistes, la démocratisation du « piège photographique » lui a permis de passer elle-même derrière la caméra (lire par ailleurs). Ou du moins de savoir où la placer.
Sa petite famille appartient une espèce peu commune de « banlieusards », le banlieusard creusois. La ville de Guéret, préfecture de la Creuse, 13.000 habitants, n’est cernée que de bocage et de monts boisés (le massif du Maupuy, la forêt de Chabrières, le puy de Gaudy…).Un jardin en lisière de forêt très proche de la ville de Guéret @ Julie Ho Hoa
Situé à seulement 800 mètres du panneau marquant la limite de l’agglomération, le jardin de Julie a notamment été visité ce printemps par… une loutre. Un ruisseau qui descend du puy de Gaudy (650 mètres) longe le terrain. « Ça a été grande émotion de la voir évoluer mais j’avais déjà repéré ses épreintes (N.D.L.R : déjections) », confie la documentariste amateure.
Une cohabitation sereine avec des voisins sauvagesLa première caméra a été installée au fond du terrain il y a deux ans et demi et le « trafic » ne cesse d’augmenter. « Il y a du mouvement, sourit Julie, on peut avoir cinq à dix passages par nuit ».Le blaireau, le "petit ours" des forêts du Limousin, un habitué @ Julie Ho Hoa
Il est vrai que l’hôtesse et jardinière passionnée a un grand sens de l’hospitalité envers ceux qu’elle appelle ses « voisins »... à poil et à plumes, auxquels s’ajoute le peuple de l’herbe, les plus gros des insectes pouvant eux aussi déclencher le détecteur de mouvements.
Quelques-un des visiteurs du jardin (pot-pourri de vidéos-3 minutes)Chez Julie, Quentin et Lilas, nulle clôture ne vient freiner cette cohabitation choisie. Leur terrain, d’environ 4.000 m² se trouve en « lisière d’une forêt de feuillus et est bordé par un ruisseau. Il y a des haies, nous laissons une prairie naturelle dans certains secteurs ou même des coins vraiment sauvages, nous avons planté des arbres et créé une mare », énumère Julie.
Cette diversité de milieux est très appréciée. La famille renard, le blaireau vivent juste à côté, ainsi qu'une laie et ses marcassins ; les chevreuils, écureuils sillonnent les sentes en tous sens. « On voit les petits grandir, on prend des nouvelles de nos voisins », s’amuse la maman de Lilas. La petite écolière suit avec assuiduité cette série animalière tournée à la maison. Le rôle éducatif est assumé : « Pour moi, il était évident d’élever ma fille au contact de la nature, dans un jardin vivant ».
Au fil des mois a surgi une collection de mustélidés : martre, fouine, « et même une hermine », se réjouit la vidéaste. Une dizaine d’espèces d’oiseaux ont fait honneur à ce « refuge LPO » (Ligue de protection des oiseaux) labellisé. Comme les insectes, les oiseaux réveillent les caméras en journée.
En attendant la genetteC’est du côté des mammifères que sont venues les « visites surprises », signalées au GMHL (Groupe mammalogique et herpétologique du Limousin). Qui sait désormais que le putois d’Europe se balade du côté de Guéret. Un furtif raton laveur (espèce non endogène) a également été détecté et filmé par une caméra. Julie n’est pas pressée de voir passer un loup dans son jardin, en revanche, un chat forestier ou mieux encore la très secrète genette seraient son « Graal » de vigie de la biodiversité creusoise.
Cette activité, qui prend beaucoup de temps en visionnage et montage de vidéos, n’est pas que contemplative. La petite famille a réalisé plusieurs « habitats » pour rendre le coin encore plus hospitalier : haies sèches avec du bois mort (appréciées notamment des hérissons), nichoirs, gîtes troglodytes pour les petits mammifères.
Les haies sèches avec du bois mort sont notamments appréciées des hérissons @ Julie Ho Hoa
Le principe est poussé jusqu’à offrir un muret de pierres bien exposé… à la vipère. Aucune inquiétude : « Il suffit de savoir que son rayon d’action est limité à un mètre autour de son solarium », sourit l’hôtesse.Cette journaliste, qui fut une grande voyageuse avant d’être maman, s’émerveille chaque jour de pouvoir montrer à sa petite famille (et à ses contacts) « toute cette vie qu’on a tout près de chez nous ». Ces vidéos ont incidemment un caractère militant. Bout à bout, elles forment notamment « un plaidoyer pour les petits animaux classés comme nuisibles alors qu’ils ont aussi leur utilité ».
La martre des pins @ Julie Ho HoaRécemment, Julie a fait un reportage avec des étudiants en biologie des Pays Bas venus jusqu’en Creuse afin de découvrir pour la première fois des amphibiens dans leur milieu naturel : « On a une richesse ici qu’on nous envie et dont nous n’avons pas forcément conscience », insiste-t-elle.
Des étudiants en biologie hollandais découvent une nature intacte en Creuse
Et en particulier un fantastique bestiaire qui fait briller les yeux d’une fillette de cinq ans.
Comment ça marche ?
La vidéaste va relever ses « pièges », toutes les trois semaines et visionne les cartes mémoire. @ Julie Ho HoaJulie a commencé avec une caméra « et je m’en fais offrir à Noël », sourit-elle. Son modèle de prédilection coûte une centaine d’euros et permet déjà de « détecter un hérisson à vingt mètres ». Son dernier cadeau ? une caméra autonome avec batterie solaire. L'option images couleurs consomme plus de mémoire. La vidéaste va relever ses « pièges », toutes les trois semaines et visionne les cartes mémoire. Cette simplicité d’usage fait des émules : dans ce verdoyant quartier se monte un club de « voisins vigilants » de la biodiversité.
On peut découvrir toutes les séquences sur la chaîne Youtube de Julie en cliquant sur ce lien (1) Julie Ho Hoa est journaliste à l’agence de La Montagne de Guéret et traite notamment des sujets d’environnement.
Julien Rapegno
Images Julie Ho Hoa
