Le trail, sport nature par excellence, peut-il diminuer son empreinte écologique ?

La prise de conscience environnementale n’épargne pas le petit monde du trail. De plus en plus de coureurs essaient de diminuer leur empreinte carbone en interrogeant leurs pratiques. Mais où en est la réflexion ? Dans le Cantal, nous avons posé la question à un bénévole de l’UTPMA et au professionnel Mathieu Delpeuch, un ultra-traileur ultra-écolo. Là-haut, les chemins sont parsemés de dilemmes...

Nous, les humains, sommes pétris de contradictions et les traileurs, que l’on prend souvent pour des surhommes, n’échappent pas à ce paradoxe. Sport nature par excellence, la course à pied cherche, elle aussi, à réduire son empreinte écologique.

Star du (petit) monde du trail, Kilian Jornet a été l’un des premiers à mettre les pieds dans le plat. « Malgré ma conscience environnementale, je suis l’un des plus grands destructeurs de l’environnement. Mon style de vie, ces dix dernières années en tant qu’athlète professionnel, m’a amené à voyager frénétiquement autour du globe et à contribuer à grande échelle au réchauffement climatique », confessait le Catalan sur son blog, le 23 septembre 2020, en lançant sa propre fondation.

Pourtant sélectionné au sein de l’équipe britannique, l’athlète Andy Symonds avait renoncé aux championnats du monde de trail, organisés en 2022 en Thaïlande. Une épreuve pour laquelle l’équipe de France s’était entraînée dans le Cantal… quelques semaines avant de sauter dans l’avion. Précurseur, Andy Symonds avait alors publié son bilan carbone : « Environ 6,3 tonnes équivalent CO2. Ce qui est déjà trop, notait-il sur Instagram. Environ un tiers de mon empreinte carbone personnelle cette année provient des déplacements. Ce sont les quelques courses que j’ai faites loin de chez moi qui ont le plus contribué à mes émissions personnelles, notamment à cause de l’avion. »

Ces réflexions sédimentent de plus en plus le terrain de jeu des traileurs, pros ou amateurs. Dans le Cantal comme ailleurs, des initiatives « écoresponsables » sont donc mises en avant.

Course phare du département, l’Ultra-trail du puy Mary Aurillac (UTPMA) a proposé, pour la deuxième année, une navette en train destinée aux coureurs du 50 km. Objectif, les amener ensemble, par un mode de transport collectif, sur la ligne de départ, au Lioran, doté de sa gare de montagne. « Les trois quarts des traileurs montent par ce biais-là, soit plus de 400 coureurs », indique Sylvain Rimbault, bénévole en charge du développement durable à l’UTPMA. Cela permet de limiter l’usage de la voiture individuelle, qui reste encore très problématique sur ce type de manifestations sportives.

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« L’assistance » pose question. Car derrière chaque coureur, ou presque, il y a un assistant chargé des ravitaillements (prononcez « ravitos »), du linge… voire du tournage des vidéos, pour ceux ayant leur chaîne YouTube, comme le vainqueur de La Pastourelle 2024, à Salers. Et qui dit assistants dit voitures, ainsi que bouchons, sur petites routes de montagne.

L’UTPMA n’a pas encore consacré une vraie étude à ce sujet, qui constitue toujours une sorte d’angle mort écologique du trail. « Ce n’est pas facile à évaluer. Nous n’avons jamais vraiment réalisé de sondage dans ce sens, concède Sylvain Rimbault. Ce que l’on propose, c’est une base de vie, au Lioran, à mi-chemin du 112 km, où les coureurs peuvent laisser un sac qu’ils peuvent récupérer » sur le parcours. « Plus de la moitié des coureurs le font, poursuit le bénévole de l’UTPMA. Nous pouvons donc penser qu’une partie des coureurs n’ont pas d’assistance », déduit-il.

Photo Jérémie Fulleringer.

Néanmoins, certains constats, frappants, laissent songeurs. Les années précédentes, « au col du Pertus, à 5 heures du matin, on ne pouvait pas se garer, se remémore Sylvain Rimbault. Il y avait je ne sais combien de voitures et de gens qui suivent. Difficile de l’empêcher, parce que c’est ce qui fait le charme, l’ambiance… Mais pour moi, c’est le point noir de ce genre d’événements : forcément, autour de la course, il y a des déplacements. » Même si l’UTPMA incite les assistants à covoiturer, cette solution montre de réelles limites dès qu'il existe une différence de niveau entre deux traileurs.

Comme levier d’action efficace, les organisateurs disposent des jauges. En 2023, pour sa dixième édition, l’UTPMA avait marqué le coup en dépassant les 3.000 participants. « C’est à double tranchant… Envoyer davantage de monde dans la montagne a un impact direct sur le milieu », décortique Sylvain Rimbault. Les bénévoles ont donc préféré faire machine arrière, réduisant d’un tiers leurs jauges en 2024, pour préserver et respecter le « terrain de jeu » des traileurs. Une façon de garder la main… verte.

C’est aussi dans cette logique que le Trail des 4 x 1.800, au Lioran, interdit formellement les bâtons. « Quand il y a un coureur qui passe, pas de problème. L’inconvénient, c’est que lorsqu’il y a 500 coureurs qui passent, tout de suite, les bâtons labourent et élargissent les chemins », expose Clément Fourié, l’organisateur de cette jeune course de 32 km ajoutée en 2023 à l’agenda des traileurs.

L’assistance personnelle n’est autorisée que sur une zone délimitée, avant le ravito. « Nous avons limité l’impact, reprend Clément Fourié. L’objectif, c’est de permettre aux gens de découvrir le massif en leur demandant de respecter l’environnement, pour redécouvrir la plus belle montagne du coin dans le même état l’année d’après. »

Mathieu Delpeuch devrait s’aligner sur la prochaine 4 x 1.800, le 20 juillet chez lui, dans le Cantal. Ce traileur professionnel voit plutôt d’un bon œil l’interdiction des bâtons. « Certains de nos chemins sont vraiment usés, notamment pour monter au Bec de l’Aigle », observe-t-il.

Depuis trois ans, ce coureur originaire de Saint-Flour publie son bilan carbone, avoisinant les 6 tonnes équivalent CO2. Il ne faut pas se voiler la face, estime-t-il : « le plus gros poste, et de loin, ce sont les déplacements ». L’athlète ne voyage qu’en train, sauf exceptions. En 2022, il a pris l’avion pour un rassemblement du Team Brooks, son sponsor principal, dans les îles Canaries. En 2023, il a atterri au Pays de Galles afin de prendre le départ de la Snowdonia, course qualificative à l’UTMB, comme Ultra-trail du Mont-Blanc, à Chamonix. Le Graal. « L’événement numéro un, résume Mathieu Delpeuch. Si tu veux faire du haut niveau, te professionnaliser, il faut y être et répondre présent. L’UTMB, c’est là où les retombées médiatiques sont les plus grosses. »

Mathieu Delpeuch sur La Romagnatoise, à l'hiver 2023. Photo Richard Brunel.

Pour rester fidèle à ses valeurs, le Sanflorain dit parfois non. En 2023, il refuse de retourner aux Canaries, et s’en explique auprès de son partenaire. « Mes arguments sont entendables, plaide-t-il. Face à la réalité, c’est dur d’expliquer à une personne qu’elle doit polluer… Globalement, c’est assez bien reçu quand je décline. »

Non, aussi, au nouveau sac ou à la paire de chaussures immaculée si son matériel tient encore la route. « Quand tu es pro, les sponsors veulent que tu essaies de porter au maximum les dernières collections, détaille-t-il. Je pousse cet argument, bon pour les marques : regardez, nos athlètes portent encore leur ancien sac parce que c’est un produit qui dure longtemps. J’essaie de mettre cela en avant. De ne pas redemander. Voire de refuser les dotations à outrance dont je n’ai pas besoin. »

Ces cas de conscience continueront à se poser. « Le problème est à la racine du sport professionnel : son modèle se base sur des athlètes qui vont à l’autre bout du monde pour que les meilleurs se rencontrent. Ensuite, ce ne sont que des vitrines pour faire vendre des produits, analyse Mathieu Delpeuch. Bien sûr, le sport professionnel transmet de belles valeurs de dépassement, de discipline… Mais cela fonctionne parce que les athlètes font vendre des produits. Cela pousse à la consommation. » Le traileur cantalien, qui court avec ces « dilemmes », se sert donc de son influence pour « faire de la pédagogie ».

Romain Blanc

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