Elle n’a plus rien à prouver. À 31 ans, Clarisse Agbegnenou a tout gagné. Championne olympique, championne du monde, championne d’Europe. Peu importe ce qu’il se passera dans exactement cinq semaines, aux Jeux olympiques de Paris, la native de Rennes laissera une trace dans l’histoire du judo mondial. Et du sport français.
Mais cela ne lui suffit pas. D’abord, car la licenciée du Red Star Club Champigny est insatiable. « Elle veut tout remporter sur son passage, s’asseoir sur la catégorie (-63 kg) et être la maître du monde », résume Christophe Massina, l’entraîneur de l’équipe de France féminine. Son appétit est immense car Clarisse Agbegnenou ne combat plus seulement pour elle. La maman d’Athéna, deux ans, tient à démontrer qu’on peut être mère et championne. Ou inversement. « Je me bats pour la cause des femmes, affirme-t-elle. Une nouvelle médaille aux Jeux olympiques montrerait que tout est possible quand on le veut, qu’on fait les choses pour réussir et qu’on est bien accompagné. »
« On était épié en salle d’échauffement »Depuis la naissance de sa fille, « Gnougnou » a fait bouger les lignes. Elle a même poussé des murs. Avec force et conviction. Dans sa tête, tout était clair : la suite de sa carrière, c’était avec sa fille – qu’elle allaite encore – partout et toujours. À l’entraînement, en compétition, en stage. En France ou à l’étranger. Du jamais vu. « Cela a été compliqué au départ car cela ne s’était jamais fait et la nouveauté fait peur, explique-t-elle. Il y a eu un temps d’adaptation pour voir comment j’allais gérer. Par exemple, on était épié en salle d’échauffement. Mais au final, cela a été accepté, notamment car j’étais la seule personne à pouvoir nourrir ma fille. »
Elle a fait avancer une cause. Et pensait qu’elle en ferait de même avec le village olympique. Refus poli. « Je l’entends car c’est un endroit qui est réservé aux athlètes et on ne veut pas les déranger avec des enfants, commente-t-elle. Toutefois, on pourrait trouver une solution avec un bâtiment dédié aux jeunes parents. Il faut réfléchir et évoluer avec son temps. »
Réfléchir et évoluer avec son temps, c’est ce qui anime au quotidien la première judoka de l’histoire à avoir obtenu deux médailles d’or lors d’une même édition des JO (individuel et par équipe mixte). Ce n’est pas feint, ce n’est pas calculé. C’est encore moins de la communication, cela habite celle qui a grandi à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). « Il y a beaucoup de combats qui me tiennent à cœur car j’en ai saisi toute la difficulté, témoigne-t-elle. C’est important de profiter de sa médiatisation pour se mettre en avant et montrer le chemin. Nelson Mandela a ouvert la porte sur de nombreux sujets. Ce n’est pas facile, ce n’est pas simple. Mais, c’est nécessaire… »
Palmarès Clarisse Agbegnenou 2 : Lors des derniers JO à Tokyo, Clarisse Agbegnenou est la seule à avoir remporté deux médailles d’or : en individuel et par équipes. En 2016, à Rio, elle avait perdu en finale. 9 : Depuis 2013, elle totalise six titres mondiaux, deux médailles d’argent et une en bronze soit neuf médailles aux championnats du monde. 5 : Clarisse Agbegnenou a aussi été sacrée à cinq reprises championne d’Europe. Elle a gagné deux Masters, dix Grand Chelem et huit Grand Prix. Elle recense 33 médailles d’or internationales dans son C.V.
Clarisse Agbegnenou se bat pour le sport féminin. Sans relâche. Sans tabou, non plus. Il y a quelque temps, elle évoquait, sans détour, les douleurs menstruelles ou les seins des sportives. Elle liste ses combats avec passion. Et rectifie nos propos : « Je ne cherche pas à les ériger en combats. Je le fais pour faire avancer les choses. » Elle en recueille parfois des fruits inattendus : « Les plus beaux messages que j’ai reçus c’est lorsque des enfants de parents prématurés (elle-même prématurée, elle est marraine de l’association SOS Préma, NDLR) me disent : “En vous voyant, cela nous donne des étoiles plein les yeux et surtout de l’espoir pour l’avenir après tout ce qu’on a traversé” ». Elle marque une pause. Et reprend : « C’est beau, touchant. Cela me remplit d’émotions à chaque fois ».
S’investir en AfriqueEn pleine préparation olympique, Clarisse Agbegnenou ne peut répondre à toutes les sollicitations. Mais elle pense à rendre aux autres. Encore et toujours : « J’aimerais participer à des galas de judo, c’est important de partager et c’est là où tous les rêves commencent […] À terme, j’aimerais aussi retourner en Afrique (son père est Togolais, NDLR), y construire un dojo, une salle de sport, pour développer le sport sur le continent africain. On doit donner une chance à tout le monde ». Et Clarisse Agbegnenou est une chance pour beaucoup…
Dépression À 31 ans, Clarisse Agbegnenou s’apprête à vivre ses troisièmes Jeux. Même si elle a connu l’or à Tokyo, elle ne garde pas un bon souvenir de cette olympiade, du moins des mois qui ont précédé son sacre olympique : « Le Covid a chamboulé le monde entier. Le report des Jeux d’un an a entraîné une grosse dépression. J’ai énormément appris sur moi-même. J’ai dû me reconstruire après une introspection. En 2021, j’étais totalement différente par rapport à 2020 ».
Kevin Cao Kevin.Cao@centrefrance.com