Joue-t-on vraiment le jeu de l’inclusion en France ?
On a aujourd’hui un syndicat enseignant qui réclame un retour en arrière, que les enfants handicapés qui sont à l’école publique retournent dans des classes spécialisées du secteur médico-social. La loi de 2005 n’a fait que rappeler un principe essentiel, c’est que les enfants handicapés ont les mêmes droits que les autres. On a inventé, souvent avec les meilleures intentions du monde, des environnements dits spécialisés. En fait, ils produisaient dans la plupart des cas le contraire de ce qu’on souhaitait. Ces filières sont qualifiées par l’ONU de ségrégationnistes.
Le secteur médico-social doit venir en soutien de l’inclusion à l’école et qu’on ne fasse pas des profs les bouc-émissaires de tous les maux. Qu’on les aide à faire leur boulot !
Les structures médico-sociales ne sont-elles pas bousculées par le désir d’autodétermination de leurs usagers ? On a encore tout à faire pour que les personnes handicapées se considèrent comme des citoyens de plein exercice et ne laissent pas d’autres décider à leurs places. On parle peu de la convention de l’ONU ratifiée par la France en 2010. Il y a eu une audition il y a deux ans et les observations faites à la France montrent que, même si ça bouge, on a beaucoup de retard. La perception du handicap comme une diminution des capacités reste très forte. Dans d’autres pays, on se dit plus facilement qu’on a d’abord des personnes qui ont des capacités, des potentiels et on aménage en fonction de leurs besoins.
Le monde du travail « adapté » évolue-t-il aussi ?
On entend toujours dire : tel métier, c’est bien pour tel handicap. Avant on mettait les aveugles au standard et les sourds derrière une tondeuse… Les autistes, on leur donnait ce qu’on n’aime pas faire, les tâches minutieuses, compter… Quelle horreur ! Aux États-Unis, il y a des avocats sourds qui plaident en langue des signes pour des clients non sourds. Dans les tribunaux français, pour avoir un interprète, bon courage !
Que les ESAT sortent du créneau de la blanchisserie et proposent des services de contact avec le public, c’est bien. À condition que ce ne soit pas pour permettre aux personnes non-handicapées de se donner bonne conscience.
J’ai assisté récemment à la célébration des 70 ans d’un organisme médico-social qui a un restaurant collectif. Les dirigeants étaient à table, les personnes handicapées servaient, charlotte sur la tête. À la fin, aucune n’a été invitée à prendre la parole au micro. Devant moi, les organisateurs parlaient des personnes qui travaillaient à côté de nous comme du bétail. “On les met là, ils nous font ça, on leur donne ça”… À la fin, bien sûr, ils les ont fait applaudir… Insupportable !
Comment l’instance que vous présidez fait-elle avancer les droits des handicapés ?
Pendant longtemps c’étaient soit les professionnels, soit les “papas mamans” qui siégeaient. Depuis les préconisations de l’ONU, un décret a fait complètement changer la composition du conseil. Les associations représentatives des handicapés eux-mêmes pèsent pour 60 %.
J’ai tout entendu : nous étions des communautaristes, des wokistes, on niait les réalités
Ce qui nous manque encore, c’est la participation de jeunes, de femmes, de personnes du milieu rural ou exposées aux discriminations de genre.
Recueilli par Julien Rapegno
