Les automobilistes de l’A79 croiront peut-être à un mirage, lorsqu’ils apercevront ces camélidés d’Amérique du Sud. À Deux-Chaises, juste avant la barrière de péage dans le sens Digoin-Montmarault, de jeunes alpagas mâles galopent désormais sur leur nouveau terrain de jeu, au bord d’un bassin de rétention. Jeudi dernier, ils se sont vite approprié les lieux, faisant d’abord le tour du propriétaire, histoire de repérer les points d’accès à l’eau, les abris… Un peu plus loin, à Montmarault, ce sont des lamas qui broutent aux abords de l’autoroute, dont Aliaé est la société concessionnaire.
Ceux du Gaec Les Tilloux, à Deux-Chaises, qui compte 70 camélidés. Ils sont choyés par Anne-Laure Ducrocq et son mari Olivier : le couple a pris la relève du père d’Anne-Laure, Franck Ripart, créateur de l’élevage il y a trente-quatre ans, pour constituer une activité complémentaire. À l’époque, on ne parlait pas encore d’éco-pâturage.
Les lamas, très bons débroussailleursL'A79 lance une opération d’écopâturage pour la première fois avec des lamas et alpagas. Ces derniers ont fait leur premier pas, début juin au bord de l'autoroute. Photos Séverine TREMODEUX"Trente ans avant tout le monde, Franck Ripart avait raison", soulignent Vincent Forissier, adjoint au chef de District et Amaury Civade, responsable Travaux - Planification chez APRR, qui ont signé une convention avec la famille d’agriculteurs bourbonnais.
La société chargée de l’exploitation d’une partie du réseau autoroutier français a de plus en plus recours à l’éco-pâturage. "Cela s’inscrit dans notre politique bas-carbone, nos actions pour le respect de la biodiversité", expliquent les deux hommes.
Objectif, 50 hectares"Cette année, vingt-cinq hectares sont, au total, en écopâturage, 10 à Dompierre-sur-Besbre, et 15 à Montmarault et Deux-Chaises. C’est la première fois que nous travaillons avec des lamas et alpagas, et nous sommes partis sur un contrat d’un an. L’an prochain, nous tirerons un premier bilan et cette expérience pourra être profitable ailleurs. Près de Roanne, nous nous sommes ainsi rendu compte que les chèvres venaient bien à bout de certaines plantes invasives, comme la renouée du Japon. Nous visons, d’ici deux à trois ans, les 50 hectares".
À Dompierre, APRR travaille avec un jeune agriculteur, Joby Annicette, qui fait paître, plus classiquement, ses moutons au bord de l’autoroute.Les lamas sont de très bons débroussailleurs. Ces animaux très agiles peuvent tailler des arbustes jusqu’à 1 mètre de hauteur, sans abîmer leur écorce. Ils se régalent de ronces, chardons et autres orties. L’alpaga, plus petit, est réservé aux parcelles enherbées.
Recourir à l’éco-pâturage présente plusieurs avantages pour APRR : "Cela nous évite de broyer de l’herbe. C’est une économie et c’est aussi mieux pour la sécurité des agents, car leur évite de débroussailler sur des zones accidentées". Seule contrainte, pour les agents de l’autoroute : bien clôturer les parcelles pour éviter à la fois toute intrusion et toute échappée. Des panneaux ont aussi été installés pour signaler la présence d’animaux et inciter à la prudence. "Et les agents d’APRR, comme les entreprises extérieures intervenantes, ont été sensibilisés".
Oui, le lama cracheCes jeunes mâles alpagas sont âgés d'un an pour la plupart. Photos Séverine TREMODEUX"Quand lama fâché, lui toujours faire ainsi", lisait-on dans Tintin. Le Capitaine Haddock en sait quelque chose : un lama contrarié n’hésite pas à cracher sur celui qui l’embête…
Ce n’est pas un mythe, "mais le lama n’est pas agressif. S’il crache, c’est pour se défendre, par exemple pour protéger ses petits, ou parce qu’il redoute la tonte, un vaccin", énumère l’éleveuse, qui a nommé chacun de ses petits protégés : Toutatis, Snoopy, Yoko, Ulysse, Uderzo….
Les petits alpagas mâles – trop jeunes pour la reproduction – ont été fraîchement tondus, pour un an, et devraient rester tout l’hiver sur place ou sur d’autres terrains proches de l’autoroute. Car ces animaux d’Amérique du Sud, supportent très bien les différences de températures et le froid, explique l’éleveuse qui gardera un œil sur ses protégés, la ferme étant toute proche. Seule l’humidité les gêne.
Quel intérêt, pour les agriculteurs ? Ces terrains offrent des parcelles nourricières supplémentaires, précieuses, avec les sécheresses qui s’accumulent. "Cela peut éviter à certains de louer ou d’acheter des hectares supplémentaires".
Quelles retombées ?À défaut d'une visibilité directement sur l’autoroute, une communication sur la ferme sera assurée sur la radio Autoroute info, sur les réseaux sociaux, et sur les aires d’autoroute. Farines et pâtes de la ferme sont ainsi en vente sur l’Aire du Bourbonnais, à Toulon-sur-Allier, où des animations avec des lamas sont aussi envisagées.
Ariane Bouhours