C’est une lame de fond qui, à chaque scrutin, prend plus d’épaisseur. Par adhésion, par défaut, par colère, le Rassemblement national séduit partout dans le Puy-de-Dôme. Illustration à Lezoux, où le RN a fait l'un de ses plus gros scores du département.
« Regardez ces retraités : avant, ils pouvaient boire cinq verres ; maintenant, ils s’arrêtent à deux. Le pouvoir d’achat, on vous dit ! » A Lezoux, le comptoir du bar des Copains est comme tant d’autres : à son bord, on parle politique, oui, mais sous couvert d’humour.
« On ne va surtout pas se fâcher pour ça », commente Christian, un habitué. D’autant plus que la vie « n’est pas si terrible, ici ». Ici, la rue du Commerce porte encore bien son nom, la désertification médicale semble loin, la zone d’activités et la médiathèque font la fierté locale, l’école se rénove, l’autoroute est à deux pas… À première vue, Lezoux, qui gagne chaque année des habitants (6.357), n’a rien de la France abandonnée, déclassée.
Plus de 40 % pour le RNLe tableau n’a rien de sombre, mais en toile de fond monte quand même ce « ras-le-bol » qui embaume toute la France, et que l’on exprime cette fois-ci sans rire au comptoir des deux cafés. Dimanche, Lezoux, où la droite a toujours eu les faveurs des urnes, a voté plus qu’ailleurs en faveur du Rassemblement national : 40,47 % avec 911 voix, soit un quart des Lézoviens inscrits sur les listes électorales.
Une tendance de fond puisqu’en 2022, la commune, qui a toujours penché à droite, avait placé Marine Le Pen en tête (50,15 %) au second tour de la présidentielle. « On a été assez berné par toute la classe politique, il y a besoin de changement, commente-t-on sur la terrasse du café voisin, l’Audycé. Franchement, je n’ai pas voté RN pour le programme, mais par rejet des autres. Mais je ne dis pas que c’est une bonne chose. On est dans le doute, quand même… »
« L’impression qu’ils vivent dans le Bronx »Un vote sanction, plus que d’adhésion, que l’on retrouve finalement partout. Comment expliquer que Lezoux, comme d’ailleurs presque toute la Limagne, soit allée plus loin ? « On n’est pourtant pas concerné par l’immigration ici, analyse cet habitant croisé dans la rue, qui reprend les thématiques fortes du RN. Il n’y a pas de grosse délinquance non plus… Mais il y a ces incivilités quotidiennes, des cambriolages, l’impression que leurs auteurs échappent aux sanctions. Ça monte au cerveau des gens. La loupe des chaînes d’info grossit finalement ce qui se passe chez nous : ils ont l’impression qu’ils vivent dans le Bronx à Lezoux ! »
Un sentiment d’insécurité doublé, aussi, d’une réelle baisse de pouvoir d’achat. « Lezoux, c’est le chef-lieu, mais ses habitants ne sont pas les plus riches du canton », commente une élue locale, quand ce Lézovien résume : « C’est la France entre-deux ici : on n’est ni riche, ni pauvre. »
Le maire Alain Cosson (divers droite) ne dit pas autre chose quand il invite à interroger la manière « dont la classe moyenne a été traitée depuis vingt ans » pour comprendre ce vote. « Cette classe moyenne se divise, entre ceux qui vivent bien et ceux qui gagnent 1.500/2.000 €, qui ont pris l’inflation en pleine poire », commente un commerçant du centre.
Du RN... au PCF aux législatives ?« Beaucoup de jeunes viennent s’installer ici parce qu’ils n’ont pas les moyens d’être plus proches de Clermont : leur pouvoir d’achat reste fragile », abonde une experte du marché immobilier local, qui constate : « Cette génération n’a pas connu le FN de Jean-Marie Le Pen, comme les anciens. Eux ont grandi avec le RN de Bardella, qui n’a plus la même image. C’est presque un parti comme un autre à leurs yeux… »
Faut-il s’attendre à une confirmation aux législatives ? Pas sûr, car ici, ce sont aussi les terres de la 5e circonscription, acquise à André Chassaigne (65,20 % à Lezoux aux dernières législatives face à une candidate RN). « Ah mais lui, il ne se cache pas contrairement aux autres !, réagit-on au bar des Copains. On reconnaît la valeur de l’homme, on lui fait confiance. »
(*) Dimanche 9 juin, Lezoux a placé Jordan Bardella (RN, 40,47 %) en tête devant Raphaël Glucksmann (PS, 12,88 %), Valérie Hayer (Renaissance, 11,99 %), François-Xavier Bellamy (LR, 6 %) et Léon Deffontaines (PCF, 5,02 %).
Arthur Cesbron