Le choix de Viry-Châtillon par Gabriel Attal pour marquer, ce jeudi, d’un discours martial ses cent premiers jours à Matignon ne surprendra personne. Il s’agissait aussi pour le Premier ministre, à cinquante jours d’élections européennes promises au Rassemblement national, d’infléchir une campagne mal embarquée pour la majorité présidentielle.
Or, après la mort de Thomas, un jeune lycéen de 16 ans poignardé mi-novembre à la fin d’un bal à Crépol, dans la Drôme, c’est Viry-Châtillon, dans l’Essonne, où, début avril, Shemseddine, 15 ans, a été tabassé à mort devant son collège des Sablons, qui a, pour une opinion publique chauffée aux faits divers, aujourd'hui valeur de symbole d’un « ensauvagement » de la jeunesse, avéré ou pas. Seule certitude, en effet : cette violence juvénile est bien plus médiatisée aujourd’hui qu’hier. Cette autorité qu’il lui a fallu taire au plus fort de la colère des agriculteurs, Gabriel Attal, hier ministre de l’Éducation, l’affiche aujourd’hui face à une « menace » plus diffuse en disant vouloir attaquer « le mal à la racine ».
Le Premier ministre a ainsi affirmé, jeudi, son intention de voir tous les collégiens « scolarisés tous les jours de la semaine, entre 8 heures et 18 heures » car « la journée, la place est à l’école, à travailler et à apprendre ». Et il n’a pas manqué d’évoquer la responsabilisation des parents.
S’imposer« Ce retour à l’autorité, pointe Bernard Dolez, professeur de science politique à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Gabriel Attal s’en réclamait déjà quand il était ministre de l’Éducation. Le 31 août dernier, une note de service avait désigné l’abaya et le qamis comme des tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse?; d’où leur interdiction à l’école. Aujourd’hui à Matignon, il lui faut affirmer un peu plus son autorité sur des ministres plus âgés et, pour certains, aux ambitions présidentielles évidentes. Dans ses prises de paroles, il ne manque d’ailleurs pas de dire “mon ministre” de l’Économie ou d’un autre portefeuille, peu importe. »
« Et, poursuit le politiste, s’il se saisit du problème de la violence des jeunes, c’est peut-être, à trois ans de la fin d’un second mandat présidentiel, faute de grands projets structurants. D’autres Premiers ministres ont pâti d’une situation similaire. De ces trois premiers mois d’Attal à Matignon, que restera-t-il?? Sur le plan structurel, pas grand-chose. Sur le plan politique, il a éteint le feu de la crise agricole. Mais ce feu couve encore. Bref, Gabriel Attal a fait ce pour quoi il a été nommé : de la politique. Pas de cap clair ni même d’inflexion forte pour justifier le changement de gouvernement : seuls les mouvements d’opinion et les médias semblent dicter son agenda. »
Pointer une hausse de la violence des jeunes présenterait ainsi le double avantage de répondre à l’opinion et de taire le manque de moyens de l’école. « Comme pour l’abaya, note Bernard Dolez, c’est, autre hypothèse, s’attaquer aux problèmes de l’école sans… s’attaquer aux problèmes de l’école?! Des mesures sont pourtant prises. À la rentrée prochaine, l’enseignement des mathématiques s’inspirera de la méthode qui a fait ses preuves à Singapour. Côté santé, les dotations seront différenciées entre secteurs public et privé. Pour lutter contre les déserts médicaux, de nouveaux soins sont ouverts aux infirmiers et la consultation, dans certaines spécialités, est possible sans passer par un médecin généraliste. »
Ancrage à droite« Mais ces mesures, reprend le chercheur, sont adoptées à bas bruit. Certes, en rajouter serait heurter un corps médical qui y est globalement plutôt hostile. Mais si l’exécutif communique autour de la taxe “lapin” ou des 1 à 2 euros de franchise par consultation ou l’achat de médicaments, c’est que ces mesures l’inscrivent plus clairement à droite, ce dont le gouvernement d’Élisabeth Borne se défendait. De même, en matière de logement, le durcissement des mesures ciblant les locataires des HLM est davantage mis en avant que les mesures visant à accélérer la construction de logements sociaux. »
« Le sort réservé au rapport d’Éric Woerth sur la décentralisation, conclut Bernard Dolez, sera un bon indicateur de la volonté ou pas du gouvernement à réformer lors des trois prochaines années. Attendu en mai, ce rapport ne devrait être remis qu’après les européennes où la figure de Gabriel Attal, voulue jeune et dynamique, est censée contrer celle de Jordan Bardella. Son propre sort est d’ailleurs peut-être bien indexé aux résultats de la liste de la majorité présidentielle conduite par Valérie Hayer… »
Jérôme Pilleyre