Depuis plusieurs semaines, les hôtels sociaux de la métropole clermontoise, dans lesquels le "115" place les sans-abri, voient sortir des familles étrangères avec de jeunes enfants ou des mères célibataires, sans solution de relogement. Associations, responsables hôteliers, politiques dénoncent un durcissement de la préfecture du Puy-de-Dôme.
Il ne reste quasiment plus rien dans cette chambre d’hôtel, en périphérie de Clermont-Ferrand. Valentin et Violetta ont effacé les dernières traces de leur passage, lundi. Ordre leur a été donné, sept jours plus tôt, de partir. Voilà le couple et ses trois enfants de 6, 10 et 12 ans redevenus les passagers clandestins d’un train de galère. "À partir de 14 heures, on est à la rue, soupire la mère de famille, sans papiers, sans argent, sans rien. On ira au parc." Ça ne les réconfortera pas, mais ces Albanais, arrivés en France il y a sept ans ne sont pas seuls.
Retour au pays ou expulsion de l'hôtelDepuis un peu plus d’un mois, la préfecture du Puy-de-Dôme a décidé de durcir sa politique d’hébergement d’urgence. Les personnes déboutées du droit d’asile ou sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) sont progressivement exclues du dispositif.
"Les expulsions de familles se multiplient et ça va continuer. Le préfet avait prévenu, mais on ne pensait pas qu’il irait si loin et qu’il passerait aux actes."
Des mères célibataires et des parents malades, certificats à l’appui, se voient proposer un dilemme : une aide au retour dans leur pays d’origine ou l’obligation de quitter la chambre d’hôtel attribuée par le "115". "On parle de familles hébergées depuis cinq ans parfois plus, se désole un travailleur social habitué à gérer les questions de sans-abrisme à Clermont-Ferrand. Certes, ces personnes sont en situation irrégulière, mais les jeter à la rue du jour au lendemain et leur faire le chantage de l’aide au retour, c’est indigne."
"C’est représentatif d’un climat radical"Depuis la fin de l’été, les crispations s’accumulent autour de l’hébergement d’urgence dans la métropole. Dans le viseur, la plateforme téléphonique du "115" où 24 heures/24, des agents administratifs sont chargés d’orienter les sans logement vers des toits, quand il en reste. Devant l’explosion de la précarité et du nombre de personnes à la rue, la réponse est souvent négative (*).Photo Rémi Dugne
En dix ans, l’Anef 63, association conventionnée par l’État, a multiplié par dix le nombre de places dévolues au "115", sans pour autant se donner de l’air, tant la demande a explosé. Les chambres d’hôtel sont devenues incontournables et plusieurs établissements travaillent exclusivement avec la plateforme. Pour combien de temps ?
"L’objectif de la préfecture est de réduire drastiquement le nombre de places en hôtel, dénonce une association clermontoise. C’est représentatif d’un climat radical." Un établissement a dû pousser une vingtaine de familles vers la sortie depuis un mois. Sept ont frappé à la porte du Secours populaire ces derniers jours après leur expulsion, d’autres sont attendues d’ici à la fin mars. "On a relevé 99 personnes à la rue, comptabilise l’équipe chargée du logement au sein de l’association. Une famille avec un nourrisson de 17 mois qui vomissait tous les jours dormait dans un hall de banque. On fait quoi ?"
Une méthode "brutale" dénoncée dans les hôtelsYoussef, 42 ans, s’est posé la même question lorsqu’on lui a signifié, un soir, qu’il devrait quitter les lieux avec sa femme et ses quatre enfants au petit matin. "Ils m’ont dit : “c’est comme ça, il n’y a pas que vous. Tout le monde va sortir”."Photo Rémi Dugne
Une employée d’un hôtel social lié de longue date au "115" confirme la méthode, annoncée par la préfecture début mars et s’en émeut. "Des familles et des enfants malades ou handicapés sont mis dehors, sans solution. Vous imaginez ? C’est inhumain. Les gens ont peur, à tout moment on peut nous appeler et on doit leur annoncer. C’est un climat difficile, ça me fait de la peine de mettre en danger des enfants ou des adolescentes."
Le "115" coordonne 1.173 places en appartement. 669 personnes étaient accueillies, à l’automne, dans des hôtels qui travaillent exclusivement avec la plateforme d’hébergement d’urgence.
Depuis début 2023, Me Bastien Demars dépose régulièrement des « référé-liberté » au tribunal administratif de Clermont-Ferrand afin d’obtenir de la préfecture du Puy-de-Dôme qu’elle attribue un logement d’urgence aux personnes en situation de vulnérabilité. Il n’est pas surpris par "cette méthode brutale". Mais l’avocat rappelle que Philippe Chopin, le prédécesseur du préfet actuel Joël Mathurin, "avait un minimum d’égard vis-à-vis de la dignité des personnes". Il envisage d’engager la responsabilité du préfet en violation de l’article 5 de la Cour européenne des droits de l’homme.
Devant cette vague d’expulsions qui monte, dans le département, la solidarité apparaît comme l’ultime recours. Des établissements scolaires ici, un prêtre là, des militants, des institutrices, des citoyens hébergent des familles ou financent des logements. Ces coups de main temporaires n’ont pas vocation à s’éterniser.
La menace d'un camp place du 1er-Mai ?Reste l’opération coup de poing qui bruisse depuis plusieurs semaines. "Le mois d’avril sera un tournant, ça va être dur", préviennent plusieurs sources. La plupart évoquent 2017, année marquée par une crise de l’hébergement d’urgence inédite à Clermont-Ferrand et l’apparition de campements place du 1er-Mai et à la faculté de lettres entre juin et octobre. L’année 2024 semble emprunter le même chemin.
Malik Kebour