Il y a cent ans, le carrossier Henri Crouzier fit briller le nom de Moulins de Monaco à Deauville, en créant des voitures de luxe et des véhicules utilitaires tout aussi soigné.
Dans le numéro 22 de la revue de la fédération française des véhicules d’époque, le Moulinois Thierry Lacombe signe un dossier de dix pages sur la carrosserie d’Henri Crouzier, riche de 56 photos de véhicules réalisés par celui qui fit briller le nom de Moulins dans les années 1920 et 1930, jusqu’à sa mort après sa Déportation. Voici son histoire.
Henri Crouzier tient sa vocation de son père. Ou presque. Claude Crouzier, natif de Saint-Léon, est charron, c’est-à-dire réparateur de véhicules à traction animale. Il s’installe à Moulins en 1873. Son fils aîné, Etienne, qui reprend les rênes dès 1900, s’intéresse aux évolutions des moyens de locomotion. La sellerie n’est pas son dada. Il fait de la mécanique, son cheval de bataille.
Son cadet, Vincent-Henri, démobilisé en 1919, le rejoint. Les deux frères « ne comptent pas se contenter de faire de la charrette à foin », écrit Thierry Lacombe. L’activité de sellerie héritée du paternel, rue de Bourgogne, ne leur suffit pas. Ils créent un autre atelier plus moderne de l’autre côté de la rue.
LuxeParmi leurs faits d’armes, ils carrossent pour le plus gros industriel moulinois, Albert Col, deux véhicules Hispano-Suiza, une marque de luxe créée à Barcelone en 1904 et qui ne survécut pas à la guerre civile (sauf sa branche aéronautique que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Safran). Bref. Revenons à nos pistons.
Coup de théâtre en 1924 quand Etienne part ouvrir un café-hôtel dans le Loir-et-Cher. A-t-il pété une durite ? A-t-il tout simplement voulu changer de voie ? Un différend a-t-il opposé les deux frères ? Henri est-il monté sur ses grands chevaux ? Thierry Lacombe n’a pu apporter aucune réponse. Quoi qu’il en soit, le passionné d’histoire et d’huile de moteur note que la longue aventure de « la carrosserie Henri Crouzier » démarre là.
Cabriolet, torpedo, limousine, petit bus… Henri Crouzier est capable de monter toutes les carrosseries de façon impeccable et de les peindre avec soin. Pour promouvoir son savoir-faire, il participe aux concours d’élégance partout en France : à Monte-Carlo (avec une Panhard Baehr) ou à Vichy (avec une Panhard coach Landaulet). Créée pour un antiquaire italien, il présente une magnifique Isotta Fraschini, lors d’un concours à Nice. Henri Crouzier participe aussi à des concours plus modestes, d’envergure régionale, à Bourbon-Lancy et Paray-le-Monial, fait remarquer Thierry Lacombe.
Avec la crise économique des années 1930, les commandes de carrosseries montées à la main se raréfient. Pour remédier à cette situation, il faut un remède de cheval : Henri Crouzier réoriente son activité vers les véhicules utilitaires. Et même les caravanes et les roulottes. Et même les cabines téléphériques ! Il sait tout faire. Il faut plus de place. Les bâtiments de la rue de Bourbogne s’agrandissent encore.
Mort à DachauDans son dossier, Thierry Lacombe met le doigt sur un fait méconnu : Crouzier a fait breveter des innovations, par exemple un marche-pied automatique à commande par levier. Ou encore, un dispositif de capote pour autocar touristique. Mais aussi, la transformation d’une voiture en véhicule sanitaire.
La Seconde Guerre mondiale apporte son lot d’épreuves. Henri Crouzier fait évacuer, en zone libre, dans sa propriété d’Embourg à Souvigny, le matériel et les matières premières des ateliers de la rue de Bourgogne (en zone occupée !). Il est dénoncé et déporté à Dachau. Il survit, mais affaibli, meurt en 1948. Il a 60 ans. Son épouse, Marie-Anne, s’efforce de reprendre le flambeau avec ses chefs d’atelier, Etienne Chameau et Edouard Lassimone. Quand ce dernier, très doué, propose à la veuve de reprendre l’affaire (Henri et elle n’avaient pas d’enfant), elle décline l’offre et c’est l’entreprise qui décline à son tour. Extinction des feux en 1980.
Stéphanie Ména stephanie.mena@centrefrance.com
Thierry Lacombe serait intéressé pour retrouver la trace de tout véhicule monté par la carrosserie Crouzier, notamment utilitaires ou bus qui rouillerait dans un coin de jardin : thierry-lacombe@orange.frUn véhicule pour les clients de la ligne de train Paris-Lyon-Marseille. Cette maison en arrière-plan des photos ne vous dit rien ? Et si vous imaginez un magasin BUT à côté, est-ce que vous la reconnaissez ? Cette bâtisse de briques a été rasée en 2015 ? elle faisait partie de l’ensemble du château de Fromenteau, aujourd’hui propriété du CCAS d’EDF