Après seize années d'un travail de fourmi, "probablement la reconstruction la plus ambitieuse de l'histoire du cinéma" selon la Cinémathèque française, qui a mené ce projet, ce film-fleuve de sept heures part à l'assaut du grand public, en salles le 10 juillet.
Relatant la jeunesse de Napoléon, jusqu'aux débuts de la campagne d'Italie, le film, projeté pour la première fois en 1927, dans cette "grande version", est porté par un souffle épique, truffé d'innovations visuelles et narratives (dont une fameuse fin en triptyque, sur trois écrans en simultané).
Pièce majeure et inclassable du patrimoine cinématographique, le film est vénéré par nombre de cinéphiles et cinéastes, au premier rang desquels Francis Ford Coppola.
"Abel Gance est très audacieux pour son époque, il mélange le sublime et le trash, le combat dans la boue et le combat au sabre", avait souligné auprès de l'AFP Georges Mourier, maître d’œuvre de la reconstitution du film, alors qu'il y mettait les dernières touches. "A chaque séquence, c'est une révolution cinématographique".
Balayées peu après par l'essor du cinéma parlant, oubliées pendant des années, les bobines de cette œuvre unique et foisonnante ont été dispersées à travers le monde, certaines perdues ou détruites.
"Gance n'avait aucune notion de patrimoine. Il se servait de ses films antérieurs pour puiser dedans" et créer de nouveau. Au total, on compte entre 19 et 22 versions de son Napoléon... Résultat: les archives d'Abel Gance formaient un fonds dispersé et "d'une incroyable opacité", relevait le chercheur.
"De la dentelle"
A plusieurs reprises, "Napoléon" a été restauré. M. Mourier et sa monteuse, Laure Marchaut, pensaient donc à l'origine se borner à une mission de trois mois pour remettre un peu d'ordre dans les archives de la Cinémathèque. Ils y consacreront finalement plus d'une une décennie, allant de surprise en surprise.
Très vite, Georges Mourier a l'intuition que les restaurations précédentes ne sont jamais parvenues à restituer l'oeuvre d'Abel Gance dans sa forme originale, la "grande version" de sept heures présentée en 1927, dont certains plans différaient totalement de ceux utilisés jusqu'à présent...
"C'est un film Frankenstein", dont les bobines ont été "explosées à travers le monde", parfois retrouvées par miracle, au fin fond de la Corse notamment, et "recomposées" par les différents restaurateurs, soulignait M. Mourier. Pour comprendre comment Gance avait construit une même scène, où Napoléon entend la Marseillaise, le restaurateur a dû piocher un plan dans une copie retrouvée à Rome, le suivant à Copenhague...
"Plus que de la couture, on a fait de la dentelle: il fallait défaire les dentelles des prédécesseurs, sans casser le fil, et retisser dans le bon sens".
Travaillant parfois image par image, ils ont expertisé au total 100.000 mètres de pellicule, certaines très abîmées ou extrêmement inflammables, conservées sous haute sécurité. Pour conserver "l'âme et la matière du film", et éviter "l'effet lifting" des traitements numériques, la restauration des images elles-mêmes a fait appel à des procédés chimiques avant des scans haute définition.
La musique, enregistrée par l'Orchestre national de Radio France, a également une histoire singulière. Faute d'archives sonores de l'original, le directeur musical, Simon Cloquet-Lafollye, a dû recréer toute une bande-son, qui brosse 200 ans de musique symphonique. Il explique avoir choisi beaucoup de compositeurs méconnus, et ponctuellement quelques stars du classique (Mozart, Schubert, Beethoven, Wagner) comme des "bonbons aux spectateurs".
Le film restauré sera d'abord présenté jeudi et vendredi lors de deux ciné-concerts évènement à la Seine Musicale, près de Paris, avec plus de 250 musiciens dirigés par le chef d'orchestre Frank Strobel. Puis le grand public pourra le découvrir en salles, avant une diffusion ultérieure sur France Télévisions, Netflix, puis une diffusion internationale.