Dans le grand tumulte de l’actualité marquée par les élections législatives, le Tour de France, le parcours de la flamme olympique ou encore les préparatifs des JO, les soldes d’été 2024 ont démarré ce mercredi 26 juin, en toute discrétion. Aux journaux télévisés, quelques minutes leur sont tout de même consacrées avec, au programme, les sempiternelles plaintes de commerçants quant au manque de fréquentation des magasins et l’indifférence des passants pour cet événement. On en viendrait presque à plaindre le pauvre journaliste qui a dû faire preuve de persévérance avant de recueillir le témoignage d’un client, souriant, les bras chargés de sacs, se félicitant des bonnes affaires de sa journée. Le moral des Français n’étant pas au beau fixe, il convient de finir le reportage sur une note positive et de nuancer un constat pourtant flagrant : les soldes ne font plus rêver personne, ni les commerçants, ni les clients !
D’après l’enquête 2024[1] de l’Observatoire du Commerce Indépendant, huit Français sur dix affirment pourtant avoir changé leur manière de consommer, du fait de l’inflation et de l’augmentation des prix. Ils sont ainsi plus de 50% à attendre les périodes de promotion pour faire leurs achats et 36% à rechercher essentiellement des prix bas. Ce serait donc naturel, dans un tel état d’esprit, que les Français plébiscitent de nouveau les périodes de soldes et que celles-ci retrouvent leur gloire d’antan, mais il n’en est rien. Pire, leur désintérêt, qui ne date pas d’hier, semble s’accentuer chaque année ou plutôt chaque saison.
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Car, ne l’oublions pas, les soldes sont intrinsèquement liés aux saisons. Il s’agit pour les enseignes et marques de brader la collection d’été à la fin de l’été et la collection d’hiver à la fin de l’hiver. La logique est simple et paraît pleine de bon sens mais, dans la pratique, tout a changé. Les enseignes de fast-fashion ont rebattu les cartes en proposant non pas deux collections par an mais deux par mois en moyenne. À peine arrivée en rayon, chaque collection est déjà démodée et bradée pour laisser la place à une nouvelle. Ne parlons même pas des géants de l’ultra–fast-fashion qui proposent plusieurs milliers de nouvelles références chaque jour ! Ces entreprises se justifient et se défendent en arguant qu’elles ne font que répondre à la demande des consommateurs, de plus en plus avides de nouveautés. Ceux-là mêmes qui s’offusquent de voir des chocolats de Pâques dans les rayons dès le mois de février se font capricieux quand il s’agit d’exiger des soldes avant même le démarrage de la saison. Les marques tentent de suivre l’infernale cadence et s’engagent désormais à livrer aux boutiques des maillots de bain dès le mois de janvier et des manteaux en laine en plein mois de juin. En début d’année, les agriculteurs retournaient les panneaux d’entrée des villes comme un message d’alerte. Les enseignes des magasins devraient subir le même sort car le constat est le même : on marche sur la tête.
Alors que M. Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt-à-porter, accuse, sur France Info, la météo capricieuse de ces dernières semaines et le climat anxiogène des élections, peu propice à la consommation, M. Pierre Talamon, président de la FNH (Fédération Française de l’Habillement) intervient sur les chaînes nationales pour rappeler sa proposition visant à décaler les dates des soldes pour les reconnecter avec les saisons réelles. Si tous les acteurs du secteur s’accordent sur le fait que le concept de soldes doit être repensé, la législation à son sujet donne lieu à une éternelle confrontation entre les commerçants indépendants et les grandes enseignes dont les intérêts divergent. Est-il encore pertinent de se prétendre tous dans le même bateau lorsque certains voyagent en paquebot tandis que d’autres rament dans une barque ? Chaque année, le gouvernement profite de cette absence de consensus dans la profession pour s’abstenir de toute prise de décision[2].
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L’État français a certes le pouvoir de modifier les dates et la durée des périodes de soldes sur le territoire mais il serait naïf d’imaginer que la modification de ces paramètres soit suffisante pour inverser la tendance. Il est en effet impossible de légiférer sur les soldes sans réglementer, dans le même temps, les périodes de promotions intempestives qui ont lieu tout au long de l’année et dans lesquelles les soldes sont littéralement noyées. Au milieu de ces ventes privées, promotions de mi-saison, soldes flottants ou encore Black Friday, le commerçant se lamente et le client se perd, en plus d’en sortir souvent perdant. Il existe pourtant une directive européenne intitulée « Omnibus »[3], en vigueur depuis 2020 qui détermine des règles pour lutter contre la multiplication des promotions et celles injustement ainsi nommées, mais elle est, hélas, loin d’être appliquée en France de manière stricte. Comme dans bien d’autres domaines en France, la légifération se révèle toujours plus facile que l’application des lois déjà en vigueur.
Nous voilà donc partis pour quatre semaines de grande valse des étiquettes et, alors que la campagne électorale bat son plein pour les législatives, il est fort cocasse de constater que quand certains hésitent à s’acheter une nouvelle veste, d’autres se contentent, avec plus ou moins de discrétion, de retourner la leur.
[1] https://my.ankorstore.com/observatoireducommerceindependant
[2] https://fashionunited.fr/actualite/retail/olivia-gregoire-s-exprime-sur-le-debat-que-provoque-le-choix-des-dates-des-soldes-d-hiver-2024/2024011033941
[3] Directive (UE) 2019/2161 du parlement européen et du conseil du 27 Novembre 2019 – https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32019L2161
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