Sur BFMTV, la comédienne Ariane Ascaride a confié être très inquiète. Elle pense que, si le RN gagne les élections législatives, « une certaine parole va se libérer » et que nous assisterons à un « effacement de la culture ». Or « moi, dit-elle avec la modestie qui caractérise les artistes de gauche, je fais un métier, c’est la culture »[1]. Si le RN parvient au pouvoir, les subventions publiques seront drastiquement rationnées et le régime particulier des intermittents du spectacle – dont le déficit chronique est évalué à plus d’un milliard d’euros par an par la Cour des comptes, faut-il rappeler – sera supprimé, se lamente-t-elle. Si seulement. Mais rassurons tout de suite Mme Ascaride : Marine Le Pen, tout à son désir de ne pas brusquer le petit monde de la Culture, affirme régulièrement ne pas vouloir toucher au système avantageux élaboré de longue date par la culturocratie étatique. Premier ministre, Jordan Bardella ne cherchera vraisemblablement aucun pou dans la tête des bénéficiaires de cette petite mafia cultureuse bien établie. Celle-ci pourra donc continuer de pondre des œuvres, pour la plupart ennuyeuses ou abrutissantes, en tendant sa grosse sébile devant le généreux ministère de la rue de Valois.
A lire aussi, Ivan Rioufol: Ces liens qui rapprochent Macron du Front de la honte
En 2021, lors de la cérémonie des César, la toujours gracieuse Corinne Masiero était apparue dans le plus simple appareil avec des tampons hygiéniques usagées en guise de boucles d’oreille pour soutenir les intermittents du spectacle. Sur le plateau de Mediapart, la Capitaine Marleau de la télévision publique (donc rémunérée par tous les Français) vient d’appeler à voter pour le Nouveau Front Populaire afin d’éviter « la peste noire » et d’empêcher « les bâtards » du RN de s’en prendre aux « meufs » et aux homosexuels. Quelque chose a dû échapper à Mme Masiero : les « meufs » et les homosexuels ont de toute évidence beaucoup plus à craindre d’un mouvement cornaqué par un parti islamo-gauchiste promouvant le voile islamique et infiltré par des individus ne portant pas les homosexuels dans leurs cœurs que d’un parti qui compte dans ses rangs et à sa tête de plus en plus de femmes et d’homosexuels. Plutôt que de répéter des banalités mensongères, Corinne Masiero devrait se renseigner un peu sur les sources de l’inquiétante transformation mélenchoniste : en février 2013, sur le blog du Parti des Indigènes de la République, Houria Bouteldja, ancienne porte-parole de ce mouvement, « camarade » de Danièle Obono et inspiratrice du tournant décolonialiste et indigéniste des Insoumis, justifiait l’homophobie de ses coreligionnaires en expliquant qu’elle était « une résistance farouche à l’impérialisme occidental et blanc. » Quant au féminisme, il n’est, selon Houria Bouteldja, qu’une ruse de l’Occident pour arracher les femmes musulmanes aux magnifiques préceptes de la charia. « Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches », écrit-elle dans son essai au titre éloquent, Les Blancs, les Juifs et Nous. Houria Bouteldja, qui n’aime ni les Blancs, ni les homosexuels, ni les féministes, ni les Juifs, considérait il y a un an que Jean-Luc Mélenchon était un « butin de guerre » inestimable, un extraordinaire cheval de Troie pour l’islamisme, l’antisionisme antisémite, la déconstruction des valeurs occidentales. Elle ne s’est pas trompée. Le résultat va peut-être même au-delà des ses espérances. Si elle a entendu les âneries de Corinne Masiero, elle a dû bien se marrer.
Marion Cotillard, l’actrice rebelle de la côte Ouest des États-Unis, a posté sur Instagram une photo d’elle portant une veste en jean émaillé d’un portait d’Angela Davis, d’un cœur rose et d’un badge datant un peu : « La jeunesse emmerde le Front Nazional ». Ô magie du cinéma : Mme Cotillard, bientôt cinquantenaire, se nippe et s’affiche comme une étudiante attardée de Sciences Po Paris et partage avec cette dernière les mêmes frayeurs vis-à-vis de la « peste brune » et les mêmes préoccupations écologiques. Ainsi, pour soutenir le collectif Les soulèvements de la Terre menacé de dissolution, l’actrice postait, il y a à peine un an, sur son compte Instagram, un texte consternant dans lequel elle dénonçait les « violences policières » contre les gentils écolos et la « dérive sécuritaire du gouvernement couplée à son incapacité à nous protéger des conséquences du changement climatique ». « Ces intimidations, écrivait-elle sur le yacht où elle passait ses vacances après avoir sillonné le ciel en long, en large et en travers à bord de son jet privé, n’arriveront pas à nous faire taire. » En parlant de violences et d’intimidations : le sympathique mouvement écologiste Les soulèvements de la Terre propose actuellement sur son site « d’envisager dès à présent des blocages ciblés et des prises des ronds-points partout en France dès le 8 juillet »[2] en cas de victoire électorale du RN, de « monter des barrages physiques à l’exercice du pouvoir et des espaces d’auto-organisation dans la rue si le barrage électoral n’a pas été suffisant », de « construire une campagne d’actions contre le groupe Bolloré ». C’est dire en quelle estime ces cucurbitacées portent la démocratie dont elles se réclament : si le peuple vote mal, il faut châtier le peuple et le contraindre par la force à l’écologisme et à ses multiples ramifications totalitaires, de l’islamo-gauchisme au wokisme. Voilà ce qu’ils appellent un « soulèvement anti-fasciste ».
Et puis il y a les « actrices et acteurs du monde du Livre » qui encouragent « chacune et chacun » à faire barrage au RN. « Nous sommes porté.es, gribouillent-ils dans une pétition[3], par des valeurs de partage, de transmission, de médiation. » Ces gens, qui revendiquent un amour éperdu pour « le livre » et la culture, sont en réalité des ânes. Leur braiment inclusif est le sabir des aliborons. Le dernier lauréat du prix Goncourt, une ancienne ministre de la Culture, des écrivains, des éditeurs et des libraires signent ce brouet en osant parler de littérature.
A lire aussi, Martin Pimentel: Thomas Jolly, « mi-homme mi-coffre fort »
Ils défendent, barbouillent-ils, « la nuance face à l’outrance, ce qui rassemble plutôt que ce qui divise, ce qui ouvre l’avenir plutôt que ce qui l’obscurcit » – les livres qu’ils écrivent ou lisent s’appuient sur ce fondement, dans tous les sens du terme. « Toute la vitalité négative des arts s’abîme dans l’océan joyeux de la Positivité », écrivait Philippe Muray. Ces aimables nuancés sont en vérité les matons littéraires du camp du Bien. L’art du roman leur est inaccessible – il faut, pour l’atteindre ou le savourer, affectionner une liberté spirituelle qui se fait rare. Remettre en cause l’orthodoxie du moment, révéler les tartufferies qui la soutiennent, décrire les cuistres de cette époque nimbée d’éthique cauteleuse, d’indignation revancharde et de bonne conscience sélective sans craindre de déplaire au plus grand nombre tout en doutant de soi – cela n’est pas à la portée de tout le monde. La tendance littéraire actuelle serait plutôt au larmoiement autobiographique, à la fausse révolte sociale, à la résistance de théâtre, aux pleurnicheries sociétales et progressistes – bref, à l’acceptation du reformatage totalitaire de la société, de la langue et des arts. Ces « actrices et acteurs du livre » n’ont par conséquent pas hésité quand il s’est agi de signer une pétition écrite avec les pieds en faveur de la continuation de la destruction d’un pays et d’une langue qu’ils n’aiment pas et auquel ils préfèrent la fantastique contrée de la diversité heureuse, du wokisme radieux, de l’écriture inclusive et de la littérature de bazar.
Pour conclure, une cerise sur le gâteau indigeste des déclarations azimutées de nos artistes de gauche, forcément de gauche : sur LCI, après avoir ironiquement affirmé que le RN avait « peut-être sa place en France » et que c’était « une expérience à essayer », Mathieu Kassovitz a plus sérieusement déclaré avoir des difficultés, comme tant d’autres Français, à joindre les deux bouts en fin de mois : « La France va mal, moi je gagne beaucoup d’argent et je n’arrive pas à m’en sortir. » Face au supposé danger fasciste que court la France, M. Kassovitz avait prévu d’exhiber à la télé une tristesse de circonstance et un visage ravagé par la peur du retour de la bête immonde. Une phrase, une seule, d’une obscénité totale, aura suffi à l’émergence de la vérité : une caste médiatico-culturelle privilégiée et déconnectée des réalités de la vie ordinaire de la majorité des Français donne des leçons de maintien politique à ces derniers au nom d’une éthique et d’une décence qui lui font totalement défaut.
Nombriliste, rapace, intrigante, elle craint surtout de perdre, en plus de son rentable magistère moral, ses prébendes. Tout le reste n’est que comédie.
[1] https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/les-inquietudes-de-la-comedienne-ariane-ascaride-en-cas-de-victoire-du-rn-aux-elections-legislatives_VN-202406190955.html
[2] https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/pour-un-soulevement-antifasciste
[3] https://www.change.org/p/appel-les-actrices-et-acteurs-du-monde-du-livre-se-mobilisent-84c8c20d-3cbe-49f9-b080-87dd4730d6d3
L’article Petit tour d’horizon des inquiétudes du «monde de la Culture» est apparu en premier sur Causeur.