Une œuvre copieuse, forte d’une trentaine d’ouvrages. Un écrivain doublé d’un journaliste, fondateur et directeur du mensuel Service Littéraire[1]. Brandissant à la fois, à l’instar de Shiva, la plume du romancier, celle de l’essayiste, de l’éditorialiste, sans compter la fourchette du critique gastronomique dont l’argot truculent, savoureux, se révèle capable de mettre l’eau à la bouche de l’ascète le plus austère. Ces performances supposent une capacité peu commune à changer de style. De ton. D’époque et de registre. À marier le fond et la forme, si bien que chaque nouvel ouvrage est différent du précédent et réserve au lecteur son lot de surprises.
Total Western ne fait pas exception. Certes, les lecteurs assidus des romans de François Cérésa connaissaient déjà son goût pour le septième art et sa connaissance précise de nombre de films. Autant dire qu’il reprend ici un de ses thèmes favoris, mais en se concentrant sur un genre bien précis qu’il connaît à fond et apprécie depuis son jeune âge. Ou, plutôt, appréciait, car, à l’instar de nombre de manifestations artistiques, les canons et critères régissant ces films devenus cultes ont dégénéré, périclité, victimes de la déconstruction dont les ravages s’exercent de nos jours dans tous les domaines. Ainsi s’explique la nostalgie diffuse qui baigne ces pages. La sourde colère qui en émane. Les éléments biographiques y sont étroitement mêlés à l’évocation de films découverts, vus et maintes fois revus. Ceux-ci donnent lieu à des analyses et à des réflexions dépassant le seul septième art pour aborder à d’autres rivages, ceux de la réflexion historique et philosophique.
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L’auteur avait sept ans lorsqu’il vit avec son père son premier western, Rio Bravo. Un classique du genre. Emblématique. Incontournable – ne serait-ce que pour la performance de John Wayne. Le sort en était jeté. Le gamin était tombé sous le charme de ce qui apparaîtra plus tard comme « l’équivalent moderne des romans de chevalerie ». Définitivement conquis. Les moments d’enthousiasme liés à des souvenirs d’enfance, l’auteur les fait revivre avec précision. Ou plutôt, il les revit lui-même avec une nostalgie accrue par l’évolution du genre jusqu’à son état actuel. Une nostalgie traversée de bouffées de rage devant la dégénérescence de cet art dont les codes semblaient immuables.
« Aujourd’hui, kaput. Le western n’est plus dans les salles. On préfère le psychologique. Le pathos. L’effet spécieux. Les sottises volantes non identifiées. (…). Ou le cinéma d’ailleurs. Le truc emmerdant en version originale. (…) On ne raconte plus, on pense ». Tout Cérésa est là. Sa vision acérée de notre époque. Son humour caustique. Son goût pour les pirouettes langagières.
Depuis 1959, bien des westerns ont été tournés, tant au Far-West qu’ailleurs dans le monde, singulièrement en Italie où le western spaghetti s’est imposé. Dans l’intervalle, ayant revêtu sa tenue de cowboy – aussi seyante, en l’occurrence, que l’uniforme de mousquetaire dont il usa en d’autres temps -, l’écrivain rembobine le film de sa vie : son enfance, son adolescence quelque peu chaotique, ses copains, sa rencontre avec Ariane, aussi experte, assure-t-il, dans le maniement du lasso que dans les chevauchées fantastiques pour rassembler les troupeaux. Folle de Burt Lancaster, elle partage, bien sûr, son goût pour le western. Une passion qu’ils ne manqueront pas de transmettre à leurs deux garçons.
Toute la vie de François Cérésa, tant personnelle que professionnelle, est ainsi revisitée. Sans complaisance. La vie mouvementée d’un westerner, « chevalier en quête de son graal ». On en suit le déroulement avec un intérêt qui ne faiblit à aucun moment. Point n’est besoin, en effet, d’être un fervent cinéphile pour apprécier ce récit haut en couleur, persillé de cet humour à l’emporte-pièce qui est la marque de fabrique de l’auteur.
Pour finir, une sélection de dix westerns américains et de dix westerns spaghettis. Cérésa, on le sait, a le goût des nomenclatures et on se gardera de commenter ses choix. Ce qui est sûr, c’est que ce nouveau volume s’inscrit sans hiatus dans la continuité de l’œuvre tout en lui apportant une coloration particulière. Autant dire qu’il la perpétue en la renouvelant. Voilà qui témoigne de son originalité.
François Cérésa, Total Western, « Just my rifle, my pony and me ». Séguier, 142 pages.
[1] https://www.servicelitteraire.fr/
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