L’immeuble se trouve – ça ne s’invente pas – rue Voltaire, à Paris. Sous le nom de « Centre international de culture populaire », il sert de quartier général à plusieurs groupuscules politiques radicaux de la capitale. C’est là, sous le même toit, que les antifas du réseau Scalp-Reflexes cohabitèrent jadis avec les militants, pour certains proches des islamistes, de l’association Génération Palestine (qui occupe toujours les lieux). L’endroit symbolise de façon éclatante la vieille connivence entre les antifas et les milieux propalestiniens en France, qui se traduit à présent par un soutien commun au Hamas.
Ainsi l’Action antifasciste Paris-Banlieue, le plus célèbre des groupes antifas français (dont les membres ont aussi fréquenté la rue Voltaire), a-t-il applaudi au 7 octobre, en tweetant notamment, le jour même : « Il ne faudra pas rentrer dans des inversions accusatoires : les responsables ce sont les colons qui tuent et pillent. »
Génération Palestine n’est pas davantage un mouvement modéré. Il faut dire qu’il s’est fait connaître il y a une quinzaine d’années en organisant des rassemblements antisionistes devant le Bataclan. Dès 2007, il appelait au boycott de l’établissement, accusant ses propriétaires de se rendre « complices de la politique israélienne » au motif qu’ils avaient accueilli dans leurs murs des galas de soutien aux œuvres sociales de Tsahal.
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En 2015, le Bataclan est ciblé par la pire attaque terroriste jamais commise sur le sol français. Une enquête de la DCRI, révélée par Le Canard enchaîné, montrera que « le choix s’est porté sur ce lieu en raison de manifestations de soutien et de collectes de fonds réalisées au profit de la communauté juive ». Bien sûr, il serait diffamatoire de tenir Génération Palestine pour responsable des actions barbares d’un groupe djihadiste. Reste un certain malaise face à cette singulière convergence des luttes.
En 2012, Génération Palestine défraie la chronique quand l’un de ses militants, armé d’un nunchaku, agresse deux jeunes juifs en train de coller des affiches boulevard Voltaire à Paris pour commémorer la mort d’Ilan Halimi. Les deux victimes, mineures à l’époque, trouvent alors refuge dans une agence de voyages. Ce qui donne le temps à d’autres militants, des deux camps opposés, de venir en renfort. S’ensuit une bataille de chaises devant un restaurant cacher. Au cours de la bagarre, un des jeunes « propalestiniens » laisse échapper : « On va vous faire comme à Ilan Halimi. » Un autre lance au propriétaire du restaurant : « Sur la vie de ma mère, on va descendre pour casser tous les magasins feujs. » Les propos incriminés seront cités lors du procès et reconnus par leurs auteurs.
Mais revenons dans les locaux de la rue Voltaire. Certes, tout le monde là-bas n’est pas d’accord pour tendre la main aux barbus. On l’a vu notamment le jour où Abdelhakim Sefrioui, un islamiste appartenant au collectif Cheikh Yassine (depuis mis en examen dans le cadre de l’assassinat de Samuel Paty), s’est présenté devant les locaux, entouré de deux acolytes (dont le garde du corps de Dieudonné) et s’y est vu interdire l’accès par plusieurs antifas sincèrement révulsés par son antisémitisme affiché.
Mais cet incident n’empêche pas d’autres compagnons de route de l’islam politique, comme Omar Somi, jadis dirigeant de Génération Palestine, et aujourd’hui à la tête du collectif Urgence Palestine, d’avoir toujours leurs habitudes dans l’immeuble, comme le confirme une récente enquête de Livre noir. Preuve des liens féconds qui continuent de se tisser sur place, Urgence Palestine s’est d’ailleurs récemment joint à l’appel lancé par l’Action antifasciste Paris-Banlieue contre une (groupusculaire) manifestation néofasciste organisée à Paris le 11 mai. Un appel également cosigné par La France insoumise.
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Comment l’extrême gauche accepte-t-elle de telles compromissions ? La première explication tient au clientélisme électoral de La France insoumise. Mais il faut aussi souligner la dramatique baisse de niveau au sein de la mouvance antifa. Des journaux tels que Ras l’Front ou la revue Reflexes, dotés chacun d’une vraie colonne vertébrale politique, n’existent plus. Une nouvelle génération, parfois issue du monde des supporters de football, est apparue. Parce qu’incultes, ses militants sont plus facilement enclins à fantasmer le Hamas comme le porte-étendard de la « résistance antifasciste ».
Un groupe comme la Jeune Garde, animée par Raphaël Arnault, un antifa parfois vu au côté de Jean-Luc Mélenchon dans les cortèges, est la parfaite caricature de ce déclin intellectuel. Rien à voir avec leurs alliés islamistes, à l’esprit autrement plus subtil. Par exemple Houria Bouteldja, qui, dans un essai en 2016 (Les Blancs, les Juifs et nous, La Fabrique) dit toute sa reconnaissance envers de véritables penseurs comme René Monzat, figure tutélaire des antifas, ou Jean Genet, qu’elle apprécie, dit-elle, car « il s’en fout d’Hitler ». Le même Genet dont le député LFI David Guiraud recommandait chaudement, sur Twitter, le 11 novembre dernier, la lecture de « Quatre heures à Chatila » (1983)…
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Guiraud a raison. Il faut lire « Quatre heures à Chatila ». Dans ce texte, l’auteur s’en prend sans détour au peuple juif et à son « pouvoir temporel exécrable, colonisateur comme on ne l’ose plus guère, devenu l’Instance Définitive qu’il doit à sa longue malédiction autant qu’à son élection. Dans ce pouvoir exécrable il s’enfonce tellement loin qu’on peut se demander, une fois de plus dans son histoire, s’il ne veut pas, méritant l’unanime condamnation, retrouver son destin de peuple errant, humilié, au pouvoir souterrain.[1] »
Rédigées il y a quarante ans, ces lignes résument parfaitement l’idée faussement progressiste et vraiment criminelle selon laquelle chaque juif serait coupable par essence. On touche ici au cœur du nouvel antisémitisme de gauche, qui considère le pogrom du 7 octobre comme une glorieuse action « antifasciste ».
[1]« Quatre heures à Chatila », in Jean Genet, L’Ennemi déclaré : textes et entretiens choisis 1970-1983 (éd. Albert Dichy), « x Folio », Gallimard, 2010, p. 287.
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