Le Premier ministre irakien souhaite l'appui de Washington dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI) mais les critiques américaines sur son armée et l'hostilité des groupes armés liés à l'Iran envers les Américains le contraignent à faire l'équilibriste.
Avançant prudemment en terrain miné, Haider al-Abadi a indiqué cette semaine que le déploiement sur le sol irakien de troupes étrangères serait un "acte hostile".
Sans préjuger de ce qu'il pense vraiment, le Premier ministre semble là souffler dans le sens du vent, après les réactions irakiennes très négatives aux propos de deux sénateurs américains appelant à l'envoi en Irak de 100.000 soldats étrangers, y compris américains.
La semaine dernière à Bagdad, les parlementaires John McCain et Lindsey Graham avaient même affirmé que M. Abadi souhaitait un plus grand engagement américain dans son pays. Depuis, le Premier ministre s'efforce surtout de démontrer l'inverse.
D'autant que le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter a indiqué mardi que les Etats-Unis étaient "en train de déployer" une "unité spécialisée" d'une centaine de membres des forces spéciales en Irak pour aider à mener des raids sur le terrain contre l'EI.
La présence de troupes américaines au sol est un sujet épineux en Irak, où les Etats-Unis ont mené une guerre de neuf ans largement critiquée.
- Les chiites hostiles -
Des milices chiites liées à l'Iran, dont certaines ont combattu les Américains lors de la guerre d'Irak, font partie des forces irakiennes les plus efficaces dans la lutte antijihadistes et ont beaucoup d'influence en Irak, comme leurs branches et leurs alliés politiques.
Deux d'entre elles -Asaib Ahl al-Haq et Ketaëb Hezbollah- ont affiché leur hostilité à l'idée de troupes américaines au sol.
"Nous nous battrons contre n'importe quel force étrangère, qu'elle soit de la coalition américaine ou d'ailleurs", a ainsi indiqué à l'AFP un porte-parole de Ketaëb Hezbollah, Jaafar al-Husseini. "Nous sommes déterminés à écraser des soldats américains s'ils viennent en Irak".
Asaib Ahl al-Haq a de son côté accusé Washington "d'essayer d'affaiblir" l'Irak. "Nous rejetons catégoriquement ce malheureux projet" de faire venir des troupes américaines au sol.
Malgré tout, ces groupes n'ont pas attaqué les milliers de soldats américains et étrangers de la coalition antijihadistes qui sont déjà en Irak, principalement comme conseillers militaires, mais ils maintiennent la pression sur Haider al-Abadi sur ce sujet.
"Abadi ne serait pas contre des opérations précises de forces spéciales contre des cibles ennemies mais il n'a aucune marge de manoeuvre politiquement", affirme Kirk Sowell, éditeur de la lettre d'information Inside Iraqi Politics.
"Il n'y a pas que les milices qui sont hostiles" à cette idée, "toute la population chiite (ndlr majoritaire en irak) est avec elles", ajoute-t-il.
Abadi "n'a d'autre choix que de faire ces déclarations (sur les troupes étrangères) afin de se protéger" politiquement, assure Patrick Martin, chercheur au Institute for the Study of War.
Plus les Américains parlent de déployer des troupes en Irak, plus les problèmes augmentent pour Haider al-Abadi.
A Washington, le président Barack Obama a le problème inverse: il est accusé par le Congrès à majorité républicaine et par les candidats à l'investiture républicaine pour la prochaine élection présidentielle de ne pas faire assez dans la lutte contre l'EI.
Et pour contrecarrer ces critiques, M. Obama a tout intérêt à annoncer la moindre initiative américaine, tout en assurant qu'elles s'inscrivent bien dans sa doctrine du "pas de soldats sur le terrain" ("no boots on the ground").
En Irak, Haider al-Abadi doit gérer ces annonces en faisant lui aussi l'équilibriste, d'où ses réactions hostiles, en tout cas en apparence, cette semaine sur le déploiement de "troupes au sol".
Mais en octobre, il n'avait pas condamné un raid impliquant des forces spéciales américaines dans le nord de l'Irak, pas plus qu'il n'avait commenté des accrochages cette année entre l'EI et des forces spéciales canadiennes.