Il s'appelle Antoine et il a neuf ans. C'est un enfant que je connais depuis qu'il est au CE1, je l'avais eu en classe parfois. Il était un peu farfelu, lunaire, timide.
Aujourd'hui il est toujours très timide mais affleurent chez lui les qualités d'un enfant "bien élevé". D'ailleurs, lorsque sa mère est venue me voir un matin pour savoir s'il me disait bonjour en passant la porte de la classe j'ai menti pour lui: "oui oui, il dit bonjour", alors qu'en fait non, Antoine oublie souvent ou n'ose pas, ou pense à des milliards de choses à des années lumières d'un simple bonjour.
Je vous avais déjà expliqué le principe des
débats philo. Généralement, les interventions d'Antoine sont rares, mais précises et d'une pertinence impressionnante.
Ces débats me permettent de découvrir certains élèves, de faire émerger certaines facettes, des choses que je n'aurais jamais pu découvrir si j'étais restée entre les marges des apprentissages formels, habituels.
Antoine fait partie de ceux-là. Brillant élève, il serait néanmoins passé inaperçu parmi mon groupe de têtes de classe si je ne lui avais pas permis cette tribune. Mais j'ai réussi à le découvrir, et il m'a dévoilé une facette très agréable et particulièrement attachante.
Le thème de la semaine dernière était "Pourquoi existe-t-il des gens
racistes?"
Au fur et à mesure, petit à petit, les interventions sont de plus en plus nombreuses. Mes 25 minutes dédiées aux débats philo ne suffisent parfois plus, je dois les couper, je dois conclure alors que certains doigts sont encore en l'air. Au fil du temps ils se sont approprié l'exercice, ou alors les thèmes les intéressent de plus en plus, je ne sais pas.
Quoi qu'il en soit, mes interventions se font rares, je n'ai plus à recadrer le débat et les dialogues vont bon train, ils argumentent, s'écoutent et se répondent, c'est vraiment impressionnant.
C'est ce qui s'est passé avec ce thème qui les a particulièrement intéressés. J'ai eu plusieurs interventions de qualité.
La plupart des élèves de la classe était d'accord avec Jenny lorsqu'elle a dit qu'elle pensait que ce serait très difficile aujourd'hui de lutter contre le racisme, car étant donné qu'il existe depuis longtemps, elle avoue être plutôt pessimiste quant à une amélioration. Elle a même ajouté très justement que bien souvent, les parents racistes inculquaient ce trait de caractère à leurs enfants et que du coup forcément c'était trop difficile ensuite de faire changer les gens d'avis puisqu'ils ont été élevés comme ça. (Ça me donne une idée pour un prochain thème pour le coup...)
C'est à ce moment-là qu'Antoine a levé la main. Je lui ai indiqué avec le signe convenu qu'il pouvait intervenir. Il s'est levé et d'un ton assuré, comme quelqu'un qui aurait préparé son discours depuis longtemps dans sa tête, il a dit qu'il n'était pas d'accord avec Jenny puis a ajouté ces mots:
Moi je ne pense pas qu'on ne puisse pas arrêter le racisme. Je crois qu'il y a des moyens, je crois qu'il y a des solutions, par exemple: ce qu'on est en train de faire!
Coup de poignard au cœur, larmes dans les yeux, frissons dans le corps. Cet élève m'a tuée instantanément avec une vague d'amour et de reconnaissance de fou! Je me suis appliquée à ne plus relever les yeux de mon cahier durant les secondes suivantes, histoire de me contenir...
En plein dans le mille! Antoine, neuf ans, s'était rendu compte de l'intérêt humain et pédagogique des embryons de questions philosophiques lancées légèrement dans cette classe d'école primaire. Et par cette phrase, il m'a apporté d'un coup toute la reconnaissance qu'un professeur peut imaginer!
Même en racontant l'anecdote peu après, les larmes sont revenues...
Chapeau.
Ce billet est également publié sur le blog Agoaye.
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