De plus en plus d'investisseurs prennent leurs distances avec les énergies fossiles au nom du climat, mais les banques ont encore massivement financé le charbon toujours incontournable dans de nombreux pays, selon des rapports présentés mercredi à la COP21.
"Ne plus investir dans les énergies fossiles n'est pas seulement une obligation morale par rapport au réchauffement climatique mais ça a aussi du sens économiquement", a estimé Stephen Heitz, président du fonds américain Rockefeller Brothers, qui a annoncé l'an dernier qu'il n'investirait plus dans des projets liés à ces énergies (pétrole, charbon, gaz).
Les actifs basés sur les énergies fossiles sont désormais "à risques" et "perdent de la valeur", a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse de l'ONG 350.org, à l'origine d'une campagne "de désinvestissements" recensant les engagements dans ce sens des collectivités, établissements publics ou privés, banques ou assurances.
Plus de 500 institutions, représentant 3.400 milliards de dollars d'actifs, ont désormais renoncé à certains investissements dans les énergies fossiles, a souligné l'ONG à l'occasion de la conférence sur le climat du Bourget, près de Paris. Le montant global des sommes finalement désinvesties n'a pu être calculé, pour des raisons de confidentialité, mais l'association rappelle que ces institutions n'étaient que 181 en septembre 2014, preuve que la tendance s'affirme.
Lancée fin 2012, cette campagne a d'abord concerné des fonds gérés par des campus américains et des fondations caritatives, mais elle s'est élargie "à des acteurs économiques plus importants, fonds de pension, banques", remarque Pascal Canfin, expert du World Ressource Institute (WRI).
La récente décision du géant allemand de l'assurance, Allianz, de réduire ses investissemenents dans les activités liées au charbon illustre "le vrai changement culturel" à l'oeuvre, ajoute cet ancien ministre français chargé du Développement.
Pour autant, un autre rapport est venu rappeler mercredi à quel point le charbon, que les anglophones appellent le "King Coal", est encore central dans l'économie mondiale.
S'intéressant aux financements de quinze grandes banques européennes et américaines, plusieurs ONG (dont les Amis de la Terre) ont calculé que "257 milliards de dollars ont été alloués au charbon" entre 2009 et 2014, soit 2,5 fois plus qu'aux énergies renouvelables. "Les politiques des banques demeurent très insuffisantes pour répondre à l'urgence climatique", ont estimé ces ONG.
- L'Inde, 'sujet déterminant' -
La conférence mondiale sur le climat a pour objectif d'aboutir à un accord universel permettant de contenir le réchauffement sous le seuil de +2°C par rapport à l'ère pré-industrielle. Pour tenir cet objectif, il faudrait laisser dans le sol 80% des réserves fossiles connues, selon les scientifiques.
Or ces énergies représentent encore quelque 80% de l'énergie consommée dans le monde et les deux-tiers de la production d'électricité. Et la demande mondiale de charbon va continuer à croître d'ici à 2019, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Une autre étude a rappelé mardi que si les 2.440 nouvelles centrales actuellement en projet ou en construction étaient effectivement mises en service, le monde serait davantage sur une trajectoire dépassant +3°C.
"La réalité économique aujourd'hui, c'est qu'on continue à utiliser des énergies fossiles et même qu'on va continuer à en utiliser davantage, pas moins", a rappelé mercredi David Hone, conseiller sur le changement climatique chez le pétrolier Shell, au cours d'un débat dans l'espace des ONG de la COP21.
"Par exemple, d'ici à 2020, une nouvelle centrale à charbon ouvrira chaque mois en Inde", a-t-il souligné.
Depuis l'an dernier, le charbon représente 74% du bouquet électrique de l'Inde et le pays est passé devant les États-Unis en volume de consommation.
En matière de charbon, "le sujet déterminant, c'est l'Inde", confirme Pascal Canfin. "Le dernier marché du monde auquel se réfèrent les charbonniers, c'est l'Inde. Pour eux, l'Europe, c'est fini, les Etats-Unis c'est fini, la Chine elle-même a commencé à prendre le virage. On est au point de bascule, c'est pour ça que le signal qui va sortir de la COP21 est capital", conclut l'ancien ministre.