Pouvoirs d'une commission d'enquête, tableaux de bord de suivi, remontée d'alertes: après les signalements de possibles dérives dans l'application de l'état d'urgence, la commission des Lois de l'Assemblée veut mettre en place un "dispositif de contrôle inédit".
Des députés de tous bords, parfois interpellés dans leurs circonscriptions, étaient demandeurs d'un contrôle renforcé de l'action du gouvernement, dans le cadre de la prolongation de ce régime d'exception jusqu'au 26 février, votée à la quasi-unanimité par le Parlement.
Le Premier ministre a prévu de recevoir tous les 15 jours les dirigeants des groupes parlementaires et les présidents des commissions concernées, ce qui a été inauguré mardi. Manuel Valls a défendu l'efficacité des quelque 2.000 perquisitions effectuées sans l'aval du juge, et plus de 300 assignations à résidence ordonnées depuis les attentats, alors que des critiques montent sur une utilisation abusive des pouvoirs conférés par l'état d'urgence, notamment autour de la COP21.
Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a aussi initié de telles rencontres tous les 15 jours.
Le président de la commission des Lois de l'Assemblée, Jean-Jacques Urvoas (PS), a exposé mercredi un dispositif de "veille parlementaire continue", "une vigie", pour "évaluer la pertinence des moyens mobilisés et (...) signaler le cas échéant tout risque d'abus".
A l'unanimité, la commission des Lois a décidé de se doter des prérogatives des commissions d'enquête parlementaires (convocations obligatoires sous peine d'emprisonnement ou d'amende, pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place...), pendant trois mois.
Une "première" pour une commission permanente de l'Assemblée sous la Ve République, a assuré M. Urvoas, proche de Manuel Valls, rappelant au passage que "la menace, ce sont les terroristes, pas l'Etat".
Au Sénat, un comité de suivi de l'état d'urgence, avec pour rapporteur l'ancien garde des Sceaux Michel Mercier (UDI-UC), compte demander les mêmes pouvoirs le 9 décembre.
- "Ne rien passer sous silence" -
Si le dispositif a été approuvé sans voix discordante, les orateurs des groupes minoritaires redoutent que le contrôle se retrouve concentré entre les mains des groupes PS et Les Républicains, par le biais de MM. Urvoas et Jean-Frédéric Poisson, co-rapporteurs.
Ces deux derniers ont dit qu'il y aurait un débat en commission toutes les trois semaines. Un rapport réalisé à l'issue des trois mois pourra en outre être débattu.
Les travaux de la commission s'appuieront sur des données transmises quotidiennement par un réseau de correspondants au sein de l'appareil d'Etat, qui permettront d'actualiser cinq tableaux de bord, sur les procédures (perquisitions, assignations, dissolutions d'associations...), les suites judiciaires et administratives, les recours et le suivi par la presse.
Des données chiffrées seront publiées chaque semaine sur le site de l'Assemblée.
M. Urvoas a précisé que le contrôle, qui pourra être rétroactif, "a commencé depuis vendredi", avec l'envoi de 24 courriers au ministère de l'Intérieur.
Bernard Cazeneuve s'est engagé à répondre à "toutes les demandes" et à ce que "rien ne soit passé sous silence".
Le chef de file des députés Front de gauche André Chassaigne avait jugé mardi soir auprès de l'AFP que le gouvernement "avait conscience d'un risque réel de mobilisation pour défendre les libertés individuelles".
La commission ne se prononcera pas sur des cas individuels, mais adressera "le cas échéant" au gouvernement des préconisations. "Nous ne sommes pas l'autorité judiciaire, ni une voie de recours dans des procédures juridictionnelles", selon M. Urvoas.
Autres sources d'information pour la commission: les parlementaires eux-mêmes, le Défenseur des droits Jacques Toubon et ses 397 délégués territoriaux, ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l'Homme et les associations représentées en son sein. Le Conseil national des barreaux a aussi appelé ses membres à signaler les abus.