Une figure de l’extrême droite habituée aux diatribes antisémites est morte. Un monument de la Ve République, finaliste d’une élection présidentielle, s’en est allé. La disparition de Jean-Marie Le Pen met en exergue les deux faces du fondateur du Front national. Le personnage historique est l’homme du "détail" et des sorties xénophobes. Celui qui a obtenu près de 5 millions de voix le 21 avril 2002 a poussé autant de Français dans les rues. Le pouvoir ne peut rester silencieux face à un moment d’histoire.
Mais quels mots trouver ? Attention, terrain glissant. A 13h57, François Bayrou se plie à l’exercice. Le Premier ministre affirme se placer "au-delà des polémiques qui étaient son arme préférée et des affrontements nécessaires sur le fond". "JM Le Pen aura été une figure de la vie politique française. On savait, en le combattant, quel combattant il était", écrit-il.
Sitôt le message publié, un fidèle du Béarnais salue une "jolie formule". "François aime les oraisons funèbres. Il aurait écrit un message identique s’il n’était pas chef du gouvernement", note cet élu. Et puis, la référence à "l’affrontement" ne signe-t-elle pas une mise à distance politique ? Il faut croire qu’elle est insuffisante. Sitôt le message publié, la gauche épingle une réaction tiède au décès du diable de la République. Le terme de "polémiques" est épinglé pour sa légèreté, le qualificatif de "combattant" est raillé pour sa valeur positive. Le silence sur son héritage politique témoignerait enfin d’une complaisance coupable.
La grogne gagne l’ex-majorité présidentielle. "Une réaction médiocre. On ne comprend rien si ce n’est qu’il cherche à ménager le RN dans sa réaction", fulmine un député Ensemble pour la République (EPR). Un collègue tance une réaction "alambiquée". Jean-Marie Le Pen meurt à l’heure où la Macronie subit un procès en collusion avec l’extrême droite. Chaque mot est lu à cette aune, le soupçon se nichant derrière toute ambiguïté sémantique. Reconnaître un legs, voire des qualités, mais s’en démarquer : François Bayrou peine à sortir des injonctions contradictoires qu’il s’est lui-même imposées.
17 petites lignes. L’Elysée a choisi une communication tout en retenue après la mort du "Menhir". Plutôt que de franchir un obstacle, autant le contourner. Dans un style aux airs de fiche Wikipédia, la présidence de la République se borne à retracer le parcours politique de Jean-Marie Le Pen. Son œuvre politique révélerait "désormais du jugement de l’Histoire". Le chef de l’Etat, représentant des électeurs de gauche comme frontistes, délègue ici au peuple souverain l’appréciation de l’action de Jean-Marie Le Pen. "C’est sans faux-semblant et ne bascule pas dans l’inélégance", salue un député EPR.
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau s’est aussi borné à évoquer le poids historique de son adversaire, "qui aura incontestablement marqué son époque". "On a l’idée désuète qu’il y a un temps pour tout, note son entourage. La polémique doit s’effacer devant le deuil des proches. Ce n’est pas le moment de rappeler nos désaccords." Au sein de l’exécutif, un voile pudique est posé sur les pans les plus brûlants de la vie du frontiste. Pas plus qu’un continuum idéologique n’est établi entre sa fille et lui.
Et puis, le silence. En fin d'après-midi, plusieurs ténors du camp présidentiel, souvent prompts à s'exprimer, n’avaient pas réagi à la mort de Jean-Marie Le Pen. Comment trouver la bonne formule à ce décès quand on est au pouvoir ? Un ancien ministre sourit : "On n’écrit pas, on laisse les autres le faire." Cela évite de se tromper.
