"Ce n'était pas évident de se réunir dans les circonstances actuelles et de prier dans la joie, mais grâce à Dieu, on l'a fait", soupire Sarah auprès de l'AFP, qui assiste à la messe dans la cathédrale syriaque orthodoxe de Saint-Georges.
Si le nouveau pouvoir syrien issu d'une coalition de groupes armés multiplie les gestes d'assurance envers toutes les minorités d'un pays traumatisé par la guerre, la vigilance reste de mise parmi les centaines de milliers de chrétiens vivant en Syrie.
Mardi dans la journée, ils ont encore manifesté par centaines à Damas pour défendre des "droits" qu'ils estiment menacés, indignés par l'incendie la veille du sapin de Noël d'une petite localité du centre de la Syrie.
L'acte de vandalisme perpétré par des hommes masqués --des combattants étrangers d'un groupe jihadiste, selon une ONG-- a été condamné par un responsable local de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), le groupe islamiste radical ayant mené l'offensive pour chasser Bachar al-Assad.
A l'église Saint-Georges de Damas, pendant que les adultes prient tassés sur les banquettes en bois, des enfants jouent dehors dans la cour.
"Quel que soit le chemin, qu'il soit tumultueux ou incertain", l'issue peut être positive "à condition d'avancer main dans la main", espère Sarah.
"Notre place ici"
Avant le conflit déclenché en 2011, la Syrie comptait environ un million de chrétiens (5% de la population), indique à l'AFP le politologue Fabrice Balanche. Aujourd'hui, ils ne seraient plus que 200.000 à 300.000 à être restés dans leur pays, selon lui.
Issu de la minorité alaouite, le président Assad, ayant abandonné le pouvoir le 8 décembre, s'est longtemps posé en protecteur des minorités dans un pays à majorité sunnite --en contrepartie d'une répression implacable de toute dissidence.
Mais le nouveau pouvoir installé par HTS, groupe autrefois affilié à Al-Qaïda mais qui affirme avoir renoncé au jihadisme, a adopté un discours se voulant modéré.
Les autorités se savent scrutées sur la façon dont elles vont traiter les communautés d'un pays multiconfessionnel et multiethnique.
Et les chrétiens profitent eux aussi du vent de liberté soufflant sur le pays -- et semblent déterminés à faire entendre leur voix.
Manifestant dans la nuit de lundi à mardi à Damas pour protester contre le sapin de Noël incendié, George déplore le "sectarisme" et l'"injustice" --minimisés selon lui "sous couvert de +cas isolés+".
"Si on ne nous laisse pas vivre notre foi chrétienne dans notre pays, comme c'était le cas (avant), alors on n'a plus notre place ici", martèle-t-il.
Dans son premier sermon à Damas après la chute du régime, le patriarche orthodoxe d'Antioche Jean X a espéré une nouvelle constitution élaborée avec "toutes les composantes de la mosaïque syrienne".
"Peur malgré eux"
Dans le quartier à majorité chrétienne de Bab Touma, des chansons de Noël résonnent depuis le café de Yamen Basmar, décoré avec des guirlandes lumineuses pour encourager les passants à y entrer.
Un sapin trône au milieu de la pièce.
"Les gens ont peur, beaucoup viennent me demander si on vend toujours de l'alcool, si on organise des soirées", souligne M. Basmar, 45 ans.
"En réalité, rien n'a changé", dit-il, même s'il reconnaît une baisse de son activité de 50%. Car "les gens ont peur malgré eux."
Noël dernier, "nous fermions boutique à 3H du matin. Aujourd'hui, nous fermons à 23H00", poursuit M. Basmar, espérant que les choses iront mieux l'année prochaine.
Dans le restaurant Beit Jabri à Damas, des dizaines de personnes, chrétiennes et musulmanes, se déhanchent à l'occasion d'une "fête de Noël".
Mais les organisateurs ont avancé l'évènement de deux heures, prenant en compte les "difficultés de transport" une fois la nuit tombée.
"La fête était très belle, contrairement à ce qu'on imaginait", affirme Emma Sioufji, 42 ans.
"Nous, en tant que chrétiens, cette année nous avons peur de l'inconnu", explique la quadragénaire.
Son seul souhait pour ces fêtes, "que personne ne quitte le pays". Car dit-elle, "personne n'aimerait devoir quitter son pays".