Malgré ses 37 points de deal répartis principalement entre quatre quartiers (Maurepas, Cleunay, Le Blosne et Villejean), Rennes et ses 222.000 habitants étaient jusque-là relativement épargnés par le narcobanditisme.
En mars, une fusillade à l'arme automatique de plus d'une heure en pleine nuit au Blosne, "fait prendre conscience" que le mode opératoire des trafiquants a changé, explique à l'AFP le procureur de la République de Rennes, Frédéric Teillet.
"On est désormais face à un phénomène d'ultra-violence décomplexée, très visible", souligne-t-il. Et "nos moyens n'augmentent pas à la mesure de ceux des trafiquants qui se multiplient."
Depuis mars, "pas une semaine sans un homicide, une fusillade ou une tentative de meurtre liés au trafic de stup", résume un policier. "Ça couvait depuis le Covid mais maintenant, ça explose."
"Il y a une intensification du trafic (...) avec des trafiquants très structurés qui se disputent les lieux lucratifs", confirme à l'AFP le directeur interdépartemental de la police nationale d'Ille-et-Vilaine, Yannick Blouin, évoquant une "violence désinhibée".
L'émoi devient national lorsque, le 26 octobre, un enfant de cinq ans est touché par deux balles à la tête. Dès le 1er novembre, Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, se rend à Rennes pour annoncer notamment l'arrivée de la CRS 82, spécialisée dans les violences urbaines, à Maurepas.
L'auteur présumé des tirs ayant touché l'enfant (désormais hémiplégique) est un adolescent de 16 ans, révèle jeudi le procureur, qui annonce la condamnation de 22 personnes pour des violences liées au trafic de stupéfiants depuis juillet.
"Mercenaires"
A Maurepas, la CRS 82 est partie. "Rien n'a changé, les points de deal sont toujours là", note Pascal Lesage, 60 ans, habitant du quartier. "On apprend à vivre avec eux."
Par grappe de trois, des jeunes hommes habillés de noir et encagoulés côtoient les parents venus chercher leurs enfants à l'école primaire toute proche. Quelques mètres plus loin, des adolescents surveillent les allées-venues près d'un supermarché Aldi.
"Ce sont des gamins de 16-20 ans, biberonnés aux réseaux sociaux, à la violence. Ils ne se voient pas vivants dans dix ans", regrette une source proche d'enquêtes portant sur ces points de deal.
Les adolescents "sont armés sur les points de deal, ça n'existait pas avant. Mais ils ne savent pas tirer et quand il y a une fusillade, ils tirent partout, au risque de toucher un appart" ou un enfant.
A Rennes, les lieux de vente "sont encore tenus par des (gens) locaux mais les gamins, eux, passent de ville en ville", explique-t-elle.
Ce sont souvent des Mahorais et des Guyanais, de plus en plus jeunes, "avec une coexistence de gens implantés localement et des mercenaires qui louent leurs services", note une source judiciaire.
Âgé d'une trentaine d'années, un homme qui cogère "depuis 15 ans" un des "fours" de Maurepas raconte à l'AFP gagner "2.000 euros par semaine".
Les affaires vont "de mieux en mieux", notamment "grâce à la coke", assure-t-il.
Arrivée du crack
Les points de deal rennais proposent une cocaïne parfois fragmentée pour que le demi-gramme coûte 30 euros, un prix d'appel pour les consommateurs, remarque Guillaume Pavic, chercheur pour l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives OFDT).
Si pour les autorités, le "point de bascule" à Rennes est récent, l'expert le situe dès 2016 quand les toxicomanes américains ont délaissé la cocaïne sud-américaine au profit des opioïdes comme le Fentanyl.
Les cartels sud-américains inondent alors le marché européen, notamment via les côtes bretonnes et normandes.
Résultat, la poudre blanche afflue en Bretagne. "L'effet est mécanique: les prix baissent, les consommateurs augmentent", remarque l'expert.
La région présente un "bon vivier de clients" grâce à la présence de 350 festivals et freeparties par an, note-t-il. La consommation de haschich, cocaïne, ecstasy et de kétamine "s'y banalise".
Comme partout en France, la cocaïne vendue "est de plus en plus pure, au risque d'augmenter les accidents de consommation", dont les overdoses, signale M. Pavic.
Fait plutôt rare hors Île-de-France, Rennes compte depuis 2023 au Blosne un point de vente de crack.
"Vendre du crack, c'est accepter que les personnes le consomment sur place. Cela fait fuir les autres clients et c'est un enfer pour les habitants", soupire M. Pavic.
Trois enquêteurs
Selon la maire de Rennes, Nathalie Appéré (PS), les récentes violences sont la conséquence de "rivalités liées au contrôle de point de deal".
Lundi, une nouvelle fusillade près du Blosne a visé une camionnette, sans faire de blessé mais touchant un appartement.
Face aux trafiquants, "il n'y a que trois enquêteurs pour la cellule dédiée au trafic de stup. Ils ne peuvent pas suivre", dénonce Frédéric Gallet, du syndicat Alliance.
"Il faut renforcer les équipes, passer Rennes en +secteur difficile+ pour que la prime qui va avec attire des recrues."
Le procureur Frédéric Teillet insiste également sur l'importance d'enquêter sur les réseaux de blanchiment d'argent. "Démanteler un point de deal, c'est une action de surface, qui doit être faite, mais ce n'est pas frapper au coeur."
Dans les quartiers, "l'enjeu est de garder contact avec les adolescents pour qu'ils puissent quitter le trafic s'ils le décident", plaide un acteur de terrain.
"Mais ce n'est possible qu'avec les jeunes qui habitent dans le quartier. Ceux qui ne font que passer, on les a déjà perdus."