En Chine, la corruption dans l’armée n’en finit pas. Elle est telle qu’elle pourrait avoir perturbé les progrès du pays vers ses objectifs de modernisation militaire d’ici 2027, a déclaré le Pentagone dans son rapport annuel sur l’armée chinoise publié mercredi 18 décembre.
En 2023, l’armée chinoise "a connu une nouvelle vague d’enquêtes pour corruption et de destitutions de hauts dirigeants qui pourraient avoir perturbé ses progrès vers les objectifs déclarés de modernisation pour 2027", signale ce rapport annuel, mandaté par le Congrès américain sur les développements militaires et sécuritaires chinois. "Entre juillet et décembre 2023, au moins 15 officiers militaires de haut rang et dirigeants de l’industrie de la défense ont été démis de leurs fonctions", précise le document du Pentagone. "Plusieurs dirigeants faisant l’objet d’une enquête ou destitués pour corruption supervisaient des projets de développement d’équipements liés à la modernisation de l’arsenal de missiles nucléaires et conventionnels terrestres de la République populaire de Chine", ajoute-t-il.
Le renvoi des 15 hauts responsables n’est probablement que la "pointe de l’iceberg", a déclaré Ely Ratner, secrétaire adjoint à la Défense américain pour les affaires de sécurité indo-pacifique, à un groupe de réflexion de Washington après la publication du rapport. Les dirigeants chinois ne prendraient pas de mesures anticorruption aussi extrêmes à moins d’avoir le sentiment que l’efficacité opérationnelle de l’APL en est affectée, a-t-il affirmé.
La corruption dans l’armée n’est pas nouvelle, mais elle s’est infiltrée jusqu’à la haute direction militaire. En outre, en novembre, la Chine a annoncé que l’amiral Miao Hua, qui a siégé à la Commission militaire centrale, l’organe de commandement militaire le plus élevé du pays, faisait l’objet d’une enquête pour "violations graves de la discipline". Miao Hua était le principal responsable politique de l’armée au sein de la commission de six personnes, dirigée par Xi Jinping. Et il semblerait qu’il ne soit pas le seul haut responsable militaire dans le viseur de la brigade anticorruption de Xi Jinping. Fin novembre, le journal britannique The Financial Times révélait que le ministre de la Défense chinois lui-même était visé par une enquête.
Les objectifs officiels de modernisation de la Chine pour 2027 comprennent l’accélération de l’intégration du renseignement, de la mécanisation et d’autres outils tout en augmentant la vitesse de modernisation des théories, du personnel, des armes et des équipements militaires, a déclaré le Pentagone. Malgré la corruption, la Chine a réalisé des progrès, notamment dans le domaine des ogives nucléaires opérationnelles, qui sont passées de plus de 500 l’année dernière à plus de 600 en 2024, selon le rapport. "L’expansion de la force nucléaire [NDLR : de Pékin] lui permettra de cibler plus de villes américaines, d’installations militaires et de sites de commandement que jamais en cas de conflit nucléaire", souligne encore le texte. Selon le Pentagone, l’armée de l’air chinoise réalise également des progrès et "se rapproche rapidement des standards technologiques américains". La Chine dispose par ailleurs du "premier arsenal de missiles hypersoniques dans le monde et a considérablement développé ses technologies de missiles hypersoniques conventionnels et nucléaires au cours des vingt dernières années", selon le rapport.
Le rapport évoque aussi l’intérêt toujours aussi important de la Chine pour l’île de Taïwan, qu’elle revendique comme partie intégrante de son territoire. Selon le Pentagone, la pression militaire accrue de la Chine contre Taïwan "a continué à éroder les normes de longue date dans et autour" de l’île en 2023.
Pékin a déclaré vouloir être prêt à contrôler Taïwan d’ici 2027, par la force si nécessaire. La Chine maintient une présence navale autour de l’île, a multiplié les passages dans la zone d’identification de défense aérienne de Taïwan et a mené des exercices militaires majeurs à proximité. En novembre, la Chine a d’ailleurs déployé des dizaines de navires de la marine et des garde-côtes dans ce qui semble être les plus grands exercices maritimes ciblant Taïwan depuis les années 1990.
Le ministère chinois des Affaires étrangères a qualifié le rapport d'"irresponsable" et l’a qualifié d’excuse utilisée par les Etats-Unis pour maintenir leur hégémonie militaire. "Nous exhortons les Etats-Unis à abandonner cette mentalité typique de la guerre froide et à cesser d’envoyer, année après année, ces rapports irresponsables, au lieu d’œuvrer au maintien de la stabilité entre les États-Unis et la Chine", a réagi jeudi Lin Jian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Malgré le ralentissement de l’économie chinoise, les dépenses de défense de Pékin ont été estimées entre 40 et 90 % supérieures à ce qu’elle a annoncé dans son budget de défense public, ce qui équivaut à 330 à 450 milliards de dollars de dépenses de défense totales pour 2024.