Quelque 180 médias présents, dont 86 étrangers. Une "affluence internationale qui dépasse celle des procès des attentats terroristes de janvier et novembre 2015", selon France Info. Du jamais vu. Aujourd’hui, après quatre mois de procès, personne n’est prêt à oublier celle que The New York Times qualifie de "visage du courage" : Gisèle Pelicot.
Ce jeudi 19 décembre marquait la fin de l’affaire Mazan : la cour criminelle de Vaucluse a reconnu coupable de viol aggravé Dominique Pelicot, le septuagénaire qui avait admis avoir drogué sa femme pendant près d’une décennie et avoir invité des dizaines d’inconnus à venir la violer. Il est condamné à la peine maximale : 20 ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté aux deux tiers. Sur le banc des accusés, 50 autres hommes âgés de 27 à 74 ans. Condamnés eux aussi. Des peines allant de deux ans de prison, dont deux avec sursis, à 15 ans.
"Bonjour, Good morning". The Guardian commence ainsi son direct spécifiquement dédié au verdict. CNN, la BBC ou The New York Times feront de même. Tous ne tarissent pas d’éloges pour parler de la septuagénaire. "Une héroïne féministe" pour l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, "la femme la plus courageuse et la plus digne de France", écrit le journal britannique The Times ou encore "la femme qui renverse tous les stéréotypes accolés au féminisme", peut-on lire sur le site du quotidien espagnol El Mundo. The New York Times ose même la métaphore et compare "ce symbole d’un tournant collectif" au manifestant debout devant les chars de Tiananmen en 1989 ou à la "femme en rouge", icône du mouvement de contestation de 2013 en Turquie. Le quotidien allemand Die Tageszeitung se contente, lui, d’un merci en couverture, trônant au-dessus du portrait de Gisèle Pelicot.
Une héroïsation que The New York Times justifie simplement. "Rarement quelqu’un qui était si objectifié, transformé en poupée de chiffon pour que des hommes la violent, n’a été capable de reprendre le contrôle de sa propre objectification", écrit le quotidien.
Pour El Mundo, la retraitée a bel et bien réussi à faire changer la honte de camp. "Des victimes de violences sexuelles de tous âges et de toutes nationalités sont venues lui offrir des fleurs ou d’autres cadeaux, la remercier et apprendre à la connaître. […] Avant, elles se cachaient, mais grâce à elle, c’est terminé".
Pourtant, Gisèle Pelicot a tout d’une "dame ordinaire". Mi-héroïne, mi-retraitée, comme les médias se plaisent à la décrire. "Une grand-mère retraitée" pour la BBC. "Une femme de 72 ans, maintenant à la retraite" et non une "intellectuelle ou une dirigeante politique" qui a su "alimenter la flamme féministe en France" pour El Mundo.
"Cela aurait tout aussi bien pu arriver en Allemagne", titre le magazine allemand d’actualité Stern. "Ouais, se disent peut-être certains, qu’est-ce que peut nous faire cette triste affaire qui a eu lieu en France ?", écrit-il. "Beaucoup [de choses], parce que ce n’est pas un cas isolé", répond Stern, évoquant une affaire jugée au tribunal d’Erfurt dans laquelle un homme est accusé d’avoir drogué 17 femmes, de les avoir violées et d’avoir filmé ses agissements. "Le problème n’a rien de particulièrement français", conclut le magazine.
Mais quels enseignements la société tirera-t-elle de l’affaire Mazan ? Est-elle prête à changer de paradigme sur les violences sexuelles ? Ce sont les questions que pose le quotidien suisse Le Temps. Pour lui, quatre leçons pourront être gardées en mémoire : "ouvrir les yeux sur la "culture du viol"", "briser le cycle de la violence", "prendre la mesure du fléau de l’inceste" et "s’inventer de nouveaux désirs". Le magazine interroge notamment :"Comment autant d’hommes peuvent-ils être attirés sexuellement par une femme sédatée, dans un état proche du coma ?"
Si ces médias se veulent optimistes quant à l’évolution de la société, d’autres se montrent plus dubitatifs. The Times le premier. Le quotidien britannique craint que l’affaire Mazan ait davantage découragé les victimes de violences sexuelles à témoigner. "La défense l’a [Gisèle Pelicot] accusée de ne pas être suffisamment méfiante, d’être alcoolique, de ne pas pleurer assez au tribunal. Ils ont suggéré qu’elle pourrait être responsable des crimes. […] En faisant comprendre aux femmes […] comment les hommes, dont les agressions sont filmées, peuvent encore trouver des excuses, cela pourrait dissuader les femmes de demander justice", s’inquiète le journal, rappelant qu’au Royaume-Uni, seuls 3 % des viols signalés font l’objet d’un procès.
En France, 86 % des plaintes pour abus sexuels et 94 % des viols ont été classées sans suite entre 2012 et 2021 d’après les chiffres de l’Institut des politiques publiques. Mais une chose est certaine, pour El Mundo, "Gisèle Pelicot a remis la honte et la dignité à leur juste place".