La solitaire Jessica Combey ne rit jamais. Même pas lorsque – envie subite – elle décide de se faire tringler rapidos, en déboursant quelques dollars, par un gringo corpulent qu’elle a levé au coin de la rue – non sans le cagouler pendant l’aller-retour en caisse jusqu’au plumard – on ne sait jamais ce que le gigolo d’occasion pourrait raconter. A-t-elle joui ? Pas sûr : son visage restera de marbre pendant le coït.
Voilà pour l’entrée en matière de The Wall, film belge tourné aux States, en anglais, par Philippe Van Leeuw, 70 ans, Bruxellois de souche établi à Paris, connu dans le milieu comme chef op. au moins autant que comme scénariste et réalisateur. Bardé de prix, son dernier film remonte à 2017 : Une famille syrienne, dont l’action se situait à Damas pendant la guerre civile. Sorti en 2009, son film précédent, Le jour où Dieu est parti en voyage, se passait à Kigali pendant le génocide rwandais : le cinéaste Van Leew aime décidément tourner au loin.
Pour revenir à The Wall, la jeune femme passablement glaçante (l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps, excellente au demeurant, a pris des leçons d’anglais pour le rôle) s’avère être Federal Agent des US Border Patrols, ces gardes-frontière yankee qui patrouillent dans l’Arizona, au pied du mur de séparation entre les States et le Mexique. Seule femelle dans ce milieu de mâles (forcément dominants), Jessica Combey n’a pas, il est vrai, une vie marrante : sa belle-sœur et semble-t-il unique amie, atteinte d’un cancer, est à l’article de la mort… Patriote jusqu’au fanatisme, tirée à quatre épingles dans son uniforme malgré ses fêlures intimes, la soldate à catogan ne manque pas d’invoquer Dieu et ses saints pour la soutenir dans l’épreuve du quotidien.
À lire aussi: Esquisse d’un crépuscule
Vraiment sur les nerfs, la Combey ! Conjugué à sa frustration libidinale, son nationalisme véhément la poussera aux dernières extrémités : chasseuse frénétique de ces migrants clandestins qui tentent le coup à leurs risques et périls dans le four de ce désert hostile, elle soupçonne les Amérindiens du cru d’être des passeurs : Mike Wilson (indigène qui joue ici son propre rôle) et son fils Zick. S’estimant légitimes sur leur territoire ancestral, ils ne traversent jamais par le poste-frontière légal, mais par un chemin connu d’eux seuls. Et les voilà mêlés, bien malgré eux, à un sanglant incident de frontière qu’aggrave tragiquement la présence de cette hystérique de la gâchette, murée dans la haine. N’en disons pas plus.
Il y a deux lectures contradictoires (mais pas incompatibles) à faire de The Wall : soit le film est le procès bien-pensant de la corruption, de la brutalité, de l’impunité qui règneraient dans ces parages au sein de l’engeance des exécutants (à la peau blanche) de l’ignominieuse loi étasunienne ; soit il dépeint, à travers le personnage antipathique de Jessica, un cas d’espèce qui, par les temps qui courent, ne manquera pas de scandaliser les vigies du woke, toujours sur le qui-vive quand la Femme chute de son piédestal. Philippe Van Leeuw balance ainsi entre posture vertueuse et risque assumé du bannissement par les amazones suractives du féminisme militant.
Durée : 1h36
L’article Murée dans la haine est apparu en premier sur Causeur.