Dans un immense atelier de la périphérie nord de la ville, une vingtaine de tailleurs de pierre, marbriers et ornemanistes s'affairent, comme lui, à restaurer ou copier des gargouilles et autres trésors sculptés de cette majestueuse cathédrale gothique.
"Une statue est pour moi comme un enfant que je vois grandir jour après jour, j'assiste à sa renaissance. C'est fascinant de la voir naître d'un bloc de marbre après des mois de travail", confie ce sculpteur âgé de 46 ans, casque jaune vissé sur la tête.
Il dégrossit le marbre au ciseau, le sculpte à l'aide d'un marteau pneumatique et le lisse délicatement avec une pierre abrasive. Les mouvements sont rapides, d'une précision chirurgicale. Un pantographe à l'ancienne lui permet de prendre les mesures.
Amputée de sa main droite, la statue brunie par le temps, datant environ de 1800 et représentant un homme barbu vêtu d'une tunique, a été réparée, mais reste trop fragile pour retrouver sa place. Sa copie fidèle, mais tout en blanc, la remplacera sous peu au sommet du Duomo, sur l'une de ses 135 flèches.
Marbre veiné de rose
La cathédrale domine de sa silhouette en marbre veiné de rose la vaste place où ont lieu les grands rassemblements des Milanais.
La "Madonnina", une sculpture dorée de la Vierge juchée sur son faîte, est la plus célèbre de ses 3.400 statues.
Depuis plus de six siècles, la Vénérable fabrique du Dôme de Milan, institution fondée par Gian Galeazzo Visconti, premier duc de Milan, veille scrupuleusement sur l'entretien de l'édifice et gère les ateliers de restauration.
Connu pour sa blancheur éclatante, le marbre de la cathédrale et de ses statues provient de la carrière de Candoglia, sur la rive gauche du fleuve Toce dans le Piémont, près du lac Majeur.
"Le marbre de Candoglia est très beau, très spécial, mais il est difficile à travailler" car "il a de très gros grains de calcite qui peuvent se briser" et "il est donc fragile", explique Marco Scolari, géologue responsable de l'atelier du marbre milanais et de la carrière.
"Il faut avoir beaucoup de passion pour faire face à ce défi et c'est le cas de nos marbriers", dit-il dans un grand sourire.
Renouveler les statues anciennes, secouées au fil des siècles par les intempéries, la pollution, voire les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, est un labeur incessant et coûteux.
Deux fois par an, toute la structure du Duomo est soumise à une inspection générale visant à garantir la sécurité de ses fidèles et ses 3 millions de visiteurs annuels. Les sculptures en piteux état sont enlevées.
"Cimetière" surréaliste
Une centaine de statues décapitées, défigurées ou manchotes s'entassent dans une petite arrière-cour de l'atelier du marbre: c'est le "cimetière" quelque peu surréaliste réservé à celles qui ont été jugées trop fragiles pour retourner sur le toit de la cathédrale.
Certaines d'entre elles, dans l'espoir de s'échapper de ce purgatoire, portent un petit écriteau blanc autour du cou: "Adopte une statue!".
Parmi les rescapés, une imposante statue représentant le héros biblique Samson et un lion, créée au XVIIe siècle par Giovanni Battista Buzzi, a ainsi été adoptée temporairement par le cabinet d'études Deloitte.
Moyennant un loyer annuel de 25.000 euros, des entreprises peuvent adopter une statue et bénéficier en échange d'une déduction fiscale, pour une durée maximum de trois ans, finançant ainsi sa restauration.
A condition de ne pas la reléguer au fin fond ... du bureau du PDG: pour faire revivre ces statues et leur donner un maximum de visibilité, "nous suggérons de les exposer dans des espaces de réception ou des halls d'entrée", raconte Elisa Mantia, coordinatrice pour la culture et la conservation du Duomo.
Très liés à la cathédrale, ces sponsors veulent "apporter un petit morceau du Duomo dans leur entreprise et s'attachent à la statue qu'ils voient repartir avec regret".
De nombreuses statues restaurées ont aussi trouvé un dernier refuge au Musée du Duomo, où leur splendeur peut être admirée de tout près, alors que leurs répliques trônent sur le toit, loin des regards.