Nous assistons là, avec l’entrée dans l’écurie Matignon de qui vous savez, à la promotion d’un matériel tout à fait particulier, la roue de secours. Mais une roue de secours singulière, à peu près adaptable à tout modèle, de toute marque, toujours prête à servir sous le premier pavillon venu. On vit la recrue nouvelle remplir cet office dans la team Royal, en 2007, sans véritable succès, il est vrai. On assista de nouveau à une prestation du même ordre, visant en l’occurrence à faciliter la victoire de l’équipe Hollande. C’était en 2012. Cette fois avec un peu plus de réussite, mais, on s’en souvient, un bilan de course des plus calamiteux au franchissement de la ligne, la sauce hollandaise ayant rapidement viré vinaigre.
De nouveau, nous retrouvons notre pièce de recours au départ du grand prix de 2017, écurie Macron en la circonstance. Et là, le franc succès. La couronne de lauriers au cou du plus jeune compétiteur de tous les temps et l’Élysée pour paddock. Le jackpot. De quoi se sentir digne d’un tout autre rôle que celui d’une banale option d’assistance. De quoi se dire qu’il n’est que temps que la roue – l’autre, celle du destin – tourne enfin.
Mais il faudra là encore faire preuve de patience. Une bien longue patience. Sept ans. Sept ans à rouler pour rien ou si peu, et puis voilà que s’opère l’ouverture, que survient la brèche par où se faufiler. Je veux dire le grand carambolage électoral qui rebat radicalement les cartes, révolutionne quasiment de fond en combles la grille de départ. Mais, patatras, le grand vainqueur de 2017, oublieux des services rendus, rechignant à récompenser comme il se doit tant de serviles vertus, se prend à lorgner du côté d’un matériel plus jeune, au parcours tout de même moins sinueux. À trop prendre de virages, il est vrai, la roue s’use, obère sa tenue de route, devient fort peu fiable, imprévisible, dangereuse donc.
Cette fois, en elle l’ambition ne fait qu’un tour. La bonne vieille roue ne se dégonfle pas : « Ce sera moi ou je fais un malheur », menace-t-elle le matin du jour fatidique, forçant ainsi le boss de l’écurie à avaler son chapeau. Pardon, son melon. Et c’est bien là l’évènement le plus plaisant de ce grand cirque. Les dernières feuilles de lauriers, tombant, fanées, flétries, de la glorieuse couronne de 2017. Comme sous l’effet d’une paire de baffes. Paire de baffes dont on ne peut pas dire, d’ailleurs, qu’elle soit totalement imméritée…
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Puis vient l’heure de gloire, la roue se métamorphose en conquérant au panache blanc. Et c’est la passation de pouvoir dans la cour de Matignon. Les montagnards sont là. Barnier, le Savoyard. Bayrou, le Pyrénéen. L’Himalaya s’invite dans le propos lorsque le nouveau venu évoque la difficulté de la tâche qui l’attend. Doit-on comprendre à cela qu’un Beauceron, un homme de la plaine n’aurait pas fait l’affaire ? Une allusion, très fine (si, si) le laisserait penser. « Se débarrasser de ses charges (comprendre de la dette de dingue) sur ses enfants, c’est mal vu dans les contrées de montagne », assure le bleu. Probablement qu’ailleurs on s’en tape ? Nous sommes donc entre montagnards mais aussi entre vieux de la vieille. L’arrivant se plaît à rappeler que tous deux se côtoient depuis les Rénovateurs, groupe de jeunes loups de la politique des années 89-90, dents longues, idées courtes, s’imaginant que leur jeunesse (relative) valait légitimité et badge d’accès direct au pouvoir. Puis, dans l’air frisquet de cette cour, qui n’est pas sans rappeler, dixit le sortant, celui de la Savoie et des Pyrénées (puisqu’on vous dit qu’on est entre hommes des sommets) se poursuit la prise de parole de l’impétrant. Une sorte de prédication en l’occurrence. Modestement, l’orateur tient à mentionner qu’il a su prendre dans sa carrière des « risques inconsidérés », n’hésitant pas, par exemple, à brandir le spectre de la dette, cela au cœur même de campagnes électorales pour des présidentielles. Baste ! Quelle audace ! Aussi se sent-il de taille à regarder la situation de la France « les yeux ouverts, sans timidité ». Devant notre écran, nous sommes impressionnés. Nous n’avions jamais entendu de telles choses lors de précédentes passations de mistigri. Pas à dire, ça claque ! « Situation héritée de décennies entières », analyse le nouveau Premier ministre, là encore très finement. (Décennies durant lesquelles peut-être bien avait-il trekking sur les pentes de l’Himalaya pour excuse?) Quant à l’aggravation de ladite situation, elle ne serait due qu’à « l’accumulation des crises de ces dernières années ». En aucune façon à une quelconque impéritie du pouvoir en place depuis sept ans, vous l’aurez compris. En bon vieux briscard du sérail qu’il est, le promu n’ignore pas qu’un petit coup de déni par-ci, par-là, n’est pas sans utilité et n’a jamais fait de mal à un politique qui entend durer. D’ailleurs cela ne l’empêche nullement de s’engager à toujours parler vrai et clair. Pour que le bon peuple comprenne enfin ce qu’on lui veut, je suppose. C’est ce qui a manqué, n’est-ce pas, ces derniers temps : nous ne pigions pas assez bien les actions de génie qu’on menait pour nous. Débiles profonds que nous sommes ! D’ailleurs, pour améliorer la comprenoire nationale, l’homme « pense à l’École » dont, revendique-t-il, « il s’est occupé de nombreuses années ». Au vu de l’état dans lequel elle se trouve aujourd’hui, est-ce vraiment rassurant ?…
Enfin, bien que baignant dans l’euphorie de la victoire, le nouveau maître de Matignon n’oublie pas de manifester sa gratitude. Non pas à l’adresse de M. Macron, comme on pouvait s’y attendre, mais à l’endroit d’Henri IV, son ami, peut-être même son seul ami. Le roi de la réconciliation nationale. Ce qu’il veut être lui-même, justement, un prince de la réconciliation. Le savoyard Barnier aurait bien aimé tenir ce rôle lui aussi, mais un certain Attal-Ravaillac est venu le poignarder dans le dos avant qu’il n’en ait eu le loisir. Souhaitons au Béarnais un destin plus heureux. Celui-ci a déclaré par ailleurs qu’il serait un Premier ministre de plein exercice et de complémentarité. De plein exercice, soit. Mais de complémentarité ? Que comprendre ? Ne serions-nous pas devant une espèce de recyclage larvé du en-même temps ? À ce propos, il a déclaré aussi que ceux qui voudraient écrire le récit d’une quelconque rivalité entre l’Élysée et Matignon seraient déçus. Mais on notera qu’il n’a rien dit d’une éventuelle guéguerre d’homme à homme, entre Macron et lui. Finaud le Béarnais. Habile l’homme roue de secours.
Cela dit, nous autres pauvres Français du ras des pâquerettes, ce que nous attendons de ce montagnard-là est qu’il nous fasse descendre de ce maudit manège de montagnes russes sur lequel nous sommes embarqués malgré nous depuis des mois. La nausée nous monte aux lèvres. Et la colère, la vraie, la rude, l’incontrôlable n’est sans doute pas loin. Aussi, faudra-t-il certainement plus que la promesse d’une poule au pot le dimanche pour calmer le jeu.
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