Selon une enquête publiée par Mediapart ce 9 décembre, près d’un Français sur sept vivrait dans une commune où la présence de tritium dans l’eau potable dépasse régulièrement les seuils habituels. Le tritium, un sous-produit radioactif des réacteurs nucléaires, se retrouve dans les cours d’eau à proximité des centrales et finit dans les réseaux d'eau potable.
Selon l’article, les régions situées en aval des centrales nucléaires sont les plus touchées. Par exemple, à Châtellerault et Naintré (Vienne), en aval de la centrale de Civaux, un niveau record de 65 becquerels par litre (Bq/l) a été détecté en mars 2017. À Agen, en aval de la centrale de Golfech, et à Angers, en aval de la centrale de Chinon, des concentrations respectives de 56 et 54 Bq/l ont été mesurées, selon l’analyse.
Les agences régionales de santé (ARS) surveillent ces rejets, mais un suivi approfondi n’est déclenché qu’au-delà de 100 Bq/l, une limite rarement atteinte. Hors activité industrielle, le tritium dans l’environnement naturel ne dépasse pas 2 Bq/l, souligne Julien Syren, codirecteur de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) cité par Mediapart.
Les autorités, comme l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), estiment que les concentrations actuelles de tritium dans l’eau ne représentent pas un danger immédiat. Cependant, selon le média d’investigation, des scientifiques critiquent cette position, pointant des risques sous-évalués, notamment pour les populations vulnérables.
«Le tritium est un atome d’hydrogène radioactif qui, une fois ingéré, se diffuse dans tout l’organisme», explique dans l’enquête Bruno Chareyron, conseiller scientifique à la Criirad. Il émet des rayonnements bêta, inoffensifs à l’extérieur mais potentiellement nocifs à l’intérieur du corps. Selon une étude de l'université de Caroline du Sud publiée en 2021, le tritium pourrait endommager l'ADN, affecter la fertilité et augmenter les risques de cancers.
Le tritium est produit dans le cœur des réacteurs nucléaires lorsqu’un neutron entre en contact avec du bore, un élément utilisé pour réguler la réaction nucléaire. EDF rejette cette substance dans les cours d’eau, notamment lors des phases de maintenance ou lorsque les capacités de stockage atteignent leur limite. «Ces rejets sont conformes aux normes et fortement dilués dans l’eau des rivières», précise Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN, dans l’article de Mediapart.
Pourtant, des études montrent que ces rejets pourraient augmenter avec la mise en service de réacteurs plus puissants, comme les futurs EPR2 à Gravelines (Nord). Cette perspective soulève des inquiétudes, surtout dans un contexte où le gouvernement mise sur le nucléaire pour garantir l’indépendance énergétique.
En 2019 déjà, l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro) avait alerté sur les conséquences potentielles de cette pollution, notamment en cas d’accident grave.
Pour limiter les risques, certains experts cités par Mediapart préconisent de fournir aux populations vulnérables une eau potable sans substances radioactives. «Si on peut éviter cette exposition, il faut le faire», insiste Bruno Chareyron. Mais, comme le reconnaît Julien Collet, «la présence de tritium dans l’eau potable est inéluctable, car intrinsèque à la technologie des réacteurs à eau sous pression».