Le ministère de la Justice sud-coréen a imposé lundi une interdiction de quitter le territoire au président Yoon Suk Yeol, sous le coup d’une enquête pour "rébellion" après sa proclamation éphémère de la loi martiale il y a six jours, a indiqué un responsable.
Lors d’une audience, un parlementaire a demandé si M. Yoon avait été frappé par une interdiction de quitter le pays. "Oui, c’est exact", a répondu Bae Sang-up, un responsable des services d’immigration au ministère de la Justice.
L’opposition sud-coréenne a accusé lundi le parti au pouvoir d’être en train de commettre un "deuxième coup d’Etat" en refusant de destituer le président Yoon Suk Yeol, après sa tentative ratée d’imposer la loi martiale, et en se rendant coupable de manoeuvres "illégales et anticonstitutionnelles" pour continuer à gouverner.
La Corée du Sud a plongé dans le chaos politique une semaine plus tôt, quand M. Yoon a proclamé par surprise la loi martiale, avant d’être obligé de l’abroger six heures plus tard, sous la pression du Parlement et de la rue. En proclamant la loi martiale, il avait dit vouloir protéger la Corée du Sud des "forces communistes nord-coréennes" et "éliminer les éléments hostiles à l’Etat". Soldats et policiers avaient été déployés pour mettre le Parlement sous scellés, sans empêcher 190 députés d’y entrer pour voter la levée de cet état d’exception. Devant l’institution, des milliers de personnes s’étaient rassemblées pour exiger la démission de Yoon Suk Yeol. Samedi soir, alors que la motion de destitution contre lui était soumise au vote, quelque 150 000 manifestants s’étaient massés devant le Parlement, selon la police. Les organisateurs ont eux revendiqué une affluence d’un million de protestataires.
Une motion de destitution contre lui a été soumise au vote des députés samedi mais elle a échoué, son Parti du pouvoir au peuple (PPP) ayant boycotté et fait invalider le scrutin faute de quorum. Le PPP a ensuite expliqué avoir "obtenu" de M. Yoon, en échange de ce blocage, sa "promesse" qu’il se retirerait et qu’il laissait la gouvernance à sa formation ainsi qu’au Premier ministre.
"Peu importe la manière dont ils tentent de le justifier […] c’est un deuxième acte de rébellion et un deuxième coup d’Etat, illégal et anticonstitutionnel", a tonné lundi Park Chan-dae, chef du Parti démocrate au Parlement, largement acquis à l’opposition. La Constitution sud-coréenne dispose que le président reste le chef du gouvernement et des armées sauf s’il est dans l’incapacité d’assumer ses fonctions (s’il tombe dans le coma par exemple), démissionne ou est destitué. Dans ces cas-là, son autorité est remise au Premier ministre jusqu’à la tenue d’une nouvelle élection. Affirmer que Yoon Suk Yeol peut demeurer à son poste, tout en abandonnant ses pouvoirs au Premier ministre et au PPP, est "une violation flagrante de la Constitution, sans aucune base légale", a fustigé Park Chan-dae. La situation s’apparente à un "coup d’Etat silencieux", a estimé auprès de l’AFP Kim Hae-won, professeur de droit constitutionnel à la faculté nationale de droit de Busan.
Les autorités ont déjà arrêté l’ex-ministre de la Défense en poste pendant les troubles de mardi à mercredi, perquisitionné son bureau, mis plusieurs responsables sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire et convoqué lundi le commandant de l’éphémère loi martiale pour l’interroger. Le président Yoon lui-même pourrait être convoqué, a indiqué la police lundi, ajoutant qu’elle "réfléchit" à lui interdire de quitter le territoire, en pleine accélération des investigations. La police menera ses recherches "en conformité avec la loi et les règles, sans aucune exception", a assuré Woo Jong-soo, chef des enquêtes de la police nationale.
Lundi, le ministère de la Défense a néanmoins affirmé que Yoon Suk Yeol restait à la tête de l’appareil sécuritaire du pays, soulignant la complexité de la situation politique. "Légalement, (le contrôle des forces armées) est actuellement entre les mains du commandant en chef (Yoon)", a dit Jeon Ha-kyou, porte-parole du ministère.
L’impopulaire dirigeant Yoon, 63 ans, a présenté ses excuses samedi pour avoir déclaré la loi martiale, mais n’a pas démissionné. Il avait alors justifié son coup de force par son "désespoir en tant que président", alors que le Parlement torpillait pratiquement toutes ses initiatives. "J’ai causé de l’anxiété et des désagréments au public. Je présente mes excuses sincères", avait-il conclu avant de s’incliner profondément devant les téléspectateurs.
L’opposition a fixé à samedi 14 décembre sa nouvelle tentative de faire destituer M. Yoon. De nouveaux rassemblements d’ampleur autour de l’Assemblée nationale sont prévus. Le taux d’approbation du président a atteint un plus bas de 11 %, selon un nouveau sondage de Gallup publié lundi par les médias locaux.