Charlie Dalin continue de mener la flotte en approchant du cap Leeuwin, suivi de près par Sébastien Simon. Derrière eux, les conditions s’améliorent avec une mer plus propice à l’accélération, ce qui pourrait resserrer les écarts. La fin de journée permettra d’évaluer plus précisément la situation en tête de course. Plus en arrière, les dépressions se succèdent, mettant les skippers à rude épreuve. Le Japonais Kojiro Shiraishi a rencontré des difficultés après avoir cassé toutes les lattes de sa grand-voile. La moindre erreur de manœuvre se paie cher.
Alors qu’il y a tout juste un mois qu’elle a quitté Les Sables d’Olonne, la flotte de la 10e édition du Vendée Globe est aujourd’hui répartie dans l’Ocean Indien avec 4 grands groupes coincés dans son petit système météo.
« Dans les mers du Sud, on se sent vraiment seul. Il n’y a pas grand-chose autour de nous. Le fait d’avoir des gens proches de soi est important. Bien sûr que le Vendée Globe est une course et qu’on est concurrents, mais on a aussi tous envie que les choses se passent bien pour chacun d’entre nous. Parfois on a l’impression de former une équipe contre la nature », a commenté Sam Davies (Initiatives-Cœur), bien revenue à la bagarre avec Justine Mettraux (TeamWork – Groupe Snef), Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer) et Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence) après avoir tenté un petit décalage dans le Nord. « Depuis 24 heures, on profite d’un vent assez stable et d’une mer assez plate. On est sur un bord rapide et c’est vraiment sympa même si c’est assez intense », a détaillé la navigatrice qui a enquillé près de 485 milles entre les pointages de 3 heures hier et celui d’aujourd’hui à la même heure, se montrant ainsi la plus rapide de la flotte sur cette période.
« Le but est de réussir à rester le plus longtemps possible devant la dépression qui nous rattrape petit à petit pour ne pas tomber dans une zone sans vent mais aussi et surtout profiter de la bascule qui va nous permettre de faire une trajectoire assez naturelle le long de la Zone d’Exclusion Antarctique au portant », a ajouté Sam, alors en approche des îles Kerguelen, ultime signe de terre avant un long tête-à-tête avec l’immensité de l’océan Austral. « C’est un repère important. J’aime découper le tour du monde en petits morceaux pour ne pas trouver le temps trop long. Le passage de ce petit archipel marque ainsi la fin du premier tronçon de l’Indien. C’est un pas vers le prochain : le cap Leeuwin », a ajouté la Britannique qui se prépare à plonger encore plus profondément dans la solitude du Grand Sud et qui sait, pour avoir déjà participé quatre fois à la course, que naviguer dans ce coin dans la planète est aussi compliqué qu’un puzzle de 1 000 pièces. Une voile mal réglée ? Une dépression mal négociée ? Et paf ! C’est le Grand Sud lui-même qui vous met une grosse claque en pleine figure. « Ici, les rafales sont plus fortes, le vent plus dense. Il ne faut surtout pas se laisser surprendre mais, au contraire, tout bien anticiper pour ne pas abimer le matériel et ne pas se faire peur », a souligné Sam.
L’importance d’anticiper
De fait, dans le Grand Sud, anticiper n’est pas seulement un atout stratégique, c’est une nécessité pour naviguer vite et en sécurité dans l’une des régions les plus hostiles de la planète. Rester trop conservateur peut faire perdre des milles précieux, tandis qu’une prise de risque mal calculée peut coûter cher. Cela, Tanguy Le Turquais l’a appris à coups de coup de pieds dans le derrière pas plus tard qu’avant-hier, en cassant trois lattes de grand-voile lors d’un empannage après que la bôme, passée précipitamment, s’encastre dans la bastaque au vent. « Il a fallu réagir assez vite. Ça aurait pu être très problématique mais je suis content parce que j’ai réussi à réparer, et dans un temps assez rapide. Cela m’a permis de ne pas perdre trop de terrain sur mes concurrents », a relaté le skipper de Lazare qui prend progressivement toute la mesure de la navigation dans les Quarantièmes Rugissants.
Une petite claque, un grand enseignement
« En entrant dans l’Indien, j’ai fait une trajectoire de débutant des mers du Sud. Je suis arrivé en me disant « 35 nœuds fichiers, ça le fait ! », mais en fait, ça ne le fait pas du tout ! Ça ne sert à rien d’aller dans autant de vent et autant de mer, ce n’est pas du tout efficace ! », a raconté Tanguy qui s’est donc fait « coacher » par la réalité (pour le coup, assez stricte), tant et si bien qu’il a mangé la morale avec une cuillère bien pleine. « J’ai vu ce que c’était huit mètres de houle et 55-60 nœuds vent. Ce n’est pas raisonnable », a avoué Tanguy qui a, par conséquent, fait le choix de se recaler plus au nord la nuit dernière afin d’anticiper le passage d’une nouvelle « patate » prévue jeudi. « Celle-ci va fermer un peu la porte entre l’Australie et la ZEA », a souligné le marin qui n’a assurément pas fini de lutter encore contre des dépressions furieuses ou des accalmies trompeuses, Et pour cause, là où il se trouve, le vrai adversaire, ce n’est pas celui devant ou derrière, mais bien cet océan immense, maître du jeu et de ses règles mouvantes.