Surtout, ne jamais s’arrêter de sourire. Malgré les cris du public, la lumière vive des projecteurs et la musique à suspense diffusée à plein volume, Cassandra et Séverine continuent d’arborer un visage radieux. Face à face dans leur robe de tulle bleue ou rouge, les deux jeunes femmes se tiennent fermement les mains, attendant le verdict final du jury de l’élection Diva France 2025. Après plus de cinq heures de spectacle, l’organisatrice du concours, Taïsse Ludovino Costa, annonce enfin le nom de la grande gagnante. "Il s’agit de… Diva Picardie !", lance-t-elle face aux 200 spectateurs réunis dans l’amphithéâtre de l’Agropôle du Marault, en plein cœur de la Nièvre. Cri de soulagement pour l’heureuse élue, qui remporte, à 30 ans, son 13e titre de Miss - après avoir été successivement élue Miss Côte Picarde, Miss Péronne ou encore Miss Tourism Worldwide France.
Autant d’écharpes alternatives qui font oublier à la mère de famille la légère frustration de n’avoir jamais pu se présenter au concours officiel de Miss France - avec sa taille de 1 mètre 67, Cassandra n’entrait pas dans les critères, drastiques, établis par le comité national. A ses côtés, Séverine, Diva Bourgogne 2024, arbore fièrement ses tatouages aux bras ou à la cuisse - eux aussi interdits par le comité Miss France jusqu’en 2022 -, tandis qu’Alexia, Diva Centre et 2e dauphine, contient son émotion en décrochant son premier titre national. "Pour moi, c’est un défi personnel. Je n’aurais jamais cru redéfiler sur scène un jour", confiait-elle à L’Express quelques heures plus tôt. Avec sa taille 38, la jeune femme raconte avoir perdu "toute confiance en elle" en tentant sa chance pour le concours officiel de Miss Centre-Val de Loire, pour lequel les autres candidates se rapprochaient "plutôt du 34-36". "Je me sentais plus épaisse que les autres. Je me suis mis ça dans la tête, et, pendant des mois, j’ai eu beaucoup de mal à recommencer les défilés et les shootings", souffle-t-elle.
Manon, Diva Limousin de 21 ans, ne peut que la comprendre : avec sa taille 44, la jeune femme avoue "avoir toujours été complexée par son poids", et n’aurait jamais pensé participer à un quelconque concours de beauté. "Ce qui m’a intéressée avec Diva France, c’est justement qu’il n’y a pas de case à cocher pour candidater, ni pour être élue", résume-t-elle. C’est précisément pour cette raison que Taïsse Ludovino Costa a créé ce comité en 2021. Haute de 1 mètre 53, cette passionnée du monde du spectacle, elle-même élue "Miss" dans divers comités alternatifs, a souhaité donner leur chance à "toutes les femmes", en ne gardant qu’un critère d’âge - 35 ans maximum. Pour le reste, peu importe si les candidates taillent du 32 ou du 46, qu’elles ne dépassent pas 1 mètre 50, qu’elles aient eu recours à la chirurgie esthétique ou qu’elles arborent un tatouage, un piercing ou un crâne rasé. Peu importe aussi leur situation conjugale ou leur nombre d’enfants - cette année, l’élection a même accueilli une Diva Lorraine enceinte de plusieurs mois, fière de montrer au jury son ventre rond en maillot de bain, en mini-robe léopard ou en tenue de soirée moulante.
Au concours Diva France, Taïsse Ludovino Costa a d’ailleurs banni le terme de "Miss" : trop affilié, selon elle, aux autres concours de beauté. "Si j’ai choisi le nom de Diva, c’est pour faire un clin d’œil au monde du spectacle. Ici, on peut voir des défilés, mais aussi de la danse, du burlesque, de la sensualité. Je pousse les candidates à devenir cette femme fatale, malgré les tailles ou les formes", plaide-t-elle. Puisque le jury de Diva France ne juge pas le physique des candidates, leur aisance sur scène et leur éloquence lors des questions de réflexion posées durant le concours sont particulièrement scrutées, tout comme leur score ou leur attitude au test de culture générale ou à l’entretien personnel organisés en amont de la grande finale. Leur investissement durant leur année de règne régional est également pris en compte. "On voit tout de suite celles qui sont passionnées, prêtes à se dédier totalement à ce monde-là", assure Taïsse Ludovino Costa.
Dans cet univers de robes pailletées, de cheveux bouclés et d’odeurs de laque, nombreuses sont les "divas" à avoir ainsi participé à d’autres concours alternatifs. En ce dernier week-end de novembre, les diadèmes et les robes à sequins ne sont d’ailleurs pas rares dans le public de l’amphithéâtre : les lauréates de Miss Fashion, Miss Harmony ou Miss Crystal médium et plus size, ainsi que quelques Mister (Pretty, Crystal Crystal médium et plus size…) ont fait le déplacement pour encourager leurs homologues et partager des dizaines de photos de la soirée sur autant de pages et de groupes dédiés sur les réseaux sociaux.
Poussés par le succès rencontré sur Instagram ou Facebook, des dizaines de concours ouverts à toutes et accessibles en ligne semblent avoir définitivement ringardisé les critères rigoureux de Miss France : les pages de Miss Curvy, Miss Petite Universe, Miss Naturelle ou Super Mamie font carton plein, séduisant des femmes et internautes lassés des corps normés et des discours un brin désuets des candidates. Certaines compétitions, nées sur Internet, permettent même à leur Miss de porter les revendications de leur secteur d’activité, à l’image de Miss Agricole, qui rencontre chaque année ministres, candidats à la présidentielle ou chefs de partis politiques au salon de l’Agriculture ou au Sommet de l’élevage. Pour le comité, actuellement suivi par près de 100 000 personnes sur Facebook, tout a pourtant commencé par un concours lancé à la rigolade par une éleveuse du Cantal en 2014. "Contre toute attente, ça a fait le buzz partout dans le monde. On a réussi à montrer que toutes les femmes ne vivent pas en talons, strass et paillettes… Ce qui n’est pas anodin !" raconte en riant Emilie Marin, présidente du comité et élue première Miss Agricole en 2015.
"Cette tendance des concours alternatifs, venue tout droit des Etats-Unis, surfe beaucoup sur le concept de l’acceptation de soi, du 'body positivisme', dans une démarche d’affirmation du corps, de manière parfois presque politique", décrypte Jean-François Amadieu, auteur de La Société du paraître. Les beaux, les jeunes… et les autres (Odile Jacob, 2016). "Mon seul et unique objectif, c’est de mettre en valeur les femmes rondes, encore clairement discriminées dans l’espace public et dans les concours classiques", souligne ainsi Géraud Fargues, président de l’association Miss Curvy France.
Ses candidates, acceptées à partir de la taille 42, défilent chaque année depuis 2014 en maillot de bain, sans cacher leurs courbes ou leur forte poitrine. A son échelle, l’homme tente de bousculer le monde de la mode sur le sujet. "Aujourd’hui, 60 % des femmes françaises font un 42 et plus. Avec notre concours, on a réussi à créer des partenariats "curvy" avec des marques comme Kiabi ou Afibel, mais le travail est encore long", expose-t-il.
Car si les concours alternatifs se multiplient, l’immense majorité d’entre eux restent encore confidentiels. "Il existe en France une fascination pour la beauté et un culte de l’apparence. Il est très difficile de casser les codes et les stéréotypes, et le slogan "toutes les femmes sont belles" ne séduit pas encore la majorité des Français. Ni d’ailleurs les grandes chaînes de télévision, qui ne diffusent pas ce type de concours", souligne Jean-François Amadieu. En décembre dernier, la compétition officielle de Miss France a, elle, rassemblé plus de 7,5 millions de téléspectateurs sur TF1.