Omniprésente, la terreur de la guerre, mais aussi la vengeance et la passion, sont le fil rouge de ce mélodrame qui s'inspire de la pièce espagnole "Don Alvaro ou la force du destin", écrite par Angel Perez de Saavedra en 1835.
A la baguette, Riccardo Chailly relève que l'opéra est "terriblement d'actualité avec ses images de la guerre". Selon lui, "l'oeuvre part de la guerre au 18e siècle pour arriver après plus de trois heures de musique aux conflits d'aujourd'hui".
Temps fort de la vie culturelle italienne, cette "Prima" qui ouvre la saison lyrique sera la dernière pour son directeur, le Français Dominique Meyer, en poste depuis 2020.
Nommé directeur général de l'Orchestre de chambre de Lausanne, il part à contrecoeur, poussé vers la sortie par un décret gouvernemental fixant à 70 ans la limite d'âge pour les directeurs de théâtres lyriques.
L'Italien Fortunato Ortombina, 64 ans, dont la candidature a été soutenue par le gouvernement nationaliste de Giorgia Meloni, prendra sa relève début mars.
Le message de l'oeuvre verdienne? "L'état de guerre est un état permanent qui traverse toutes les époques, avec toujours les mêmes pulsions de vengeance", commente Dominique Meyer. "Au fond, c'est un opéra qui nous renvoie à un miroir assez cruel de ce que nous sommes", dit-il à l'AFP.
"Surnaturel"
La soprano russe Anna Netrebko, une habituée de la "Prima", incarne Donna Leonora, fille du marquis de Calatrava, qui s'oppose à son mariage avec Don Alvaro, un métis péruvien descendant d'une lignée royale.
Pour elle, la voix de Leonora est unique dans le répertoire verdien: "Il faut être au ciel pour chanter ce rôle" ou "se laisser porter par quelque chose de surnaturel".
Un nouveau venu de la "Prima", le ténor américain Brian Jagde endosse les habits de Don Alvaro, remplaçant au pied levé Jonas Kaufmann, qui a annulé sa venue pour "raisons familiales".
"C'est un rôle lourd pour tous les ténors, mais je l'adore", confie-t-il, l'ayant déjà interprété avec succès à l'Opéra Bastille à Paris et au Metropolitan à New York.
Après avoir tué accidentellement le marquis de Calatrava, Don Alvaro s'engage dans l'armée espagnole et Leonora trouve refuge dans un couvent. Obnubilé par un féroce désir de vengeance, le frère de Leonora, Don Carlo di Vargas, se lance à leurs trousses.
Don Carlo est interprété par le baryton français Ludovic Tézier, qui y voit "un personnage d'une grande épaisseur psychologique", dévoré par une "forte haine" et "l'esprit de vendetta, ancré dans les cultures de l'honneur méditerranéennes".
"La partition vocale est extrêmement exigeante, avec Verdi, l'expression est au moins aussi importante que la voix, il faut arriver à combiner les deux", commente-t-il à l'AFP.
"Roue du destin"
La scène est dominée par un va-et-vient perpétuel de soldats, pèlerins et moines, qui traversent quatre siècles en quatre actes, dans un univers marqué par une succession de guerres, la faim et le froid.
"Nous avons imaginé une sorte de roue du destin qui tourne inexorablement, avec les personnages qui avancent dans la direction opposée", à travers "des scénarios toujours changeants", explique le metteur en scène Leo Muscato.
"Au fil du temps, des siècles, ces paysages deviennent progressivement plus sombres, plus dévastés, toujours plus réalistes", relève-t-il.
"La Force du destin" fut montée pour la première fois à la Scala en 1869 et y connut un vif succès même si le mélange de moments tragiques et comiques déconcerta une partie du public.
Mais son histoire est émaillée de coïncidences funestes qui ont créé autour de cet opéra une atmosphère de superstitions. Le célèbre baryton américain Leonard Warren meurt ainsi sur la scène du Met de New York en 1960 en pleine représentation de l'oeuvre.
Composé par Verdi en 1861 pour l'inauguration du Théâtre Impérial de Saint Pétersbourg, l'opéra n'a pu être dévoilé au public qu'un an plus tard, car la "prima donna" Emilia La Grua était tombée gravement malade.