Cris dans la nuit, tonnerre, éclairs, fracas des flots. Des naufragés sont jetés sur le rivage d’une île enchantée qu’habite un Mage aux charmes puissants. Enfin, il les tient en son pouvoir, ses ennemis, après douze ans d’exil ! Aidé d’Ariel, l’Esprit de l’air, il va mener sa vengeance à terme. Sauf que cette histoire de pouvoir, de trahisons, d’exil entre un duc de Milan et un roi de Naples, se termine dans la clémence et la réconciliation. Après la tempête, tout rentre dans l’ordre et l’harmonie.
La Tempête est une des dernières pièces de Shakespeare. Et c’est un bonheur de voir se déployer sous nos yeux, sans machinerie sophistiquée ni esthétisme superflu, « le grand théâtre du monde » qu’est l’univers shakespearien, avec ses personnages et ses registres si divers mêlant noblesse, farce et poésie, sa langue si riche, pleine d’images, sa culture aux influences biblique, latine et italienne, la noblesse de sa pensée, sa philosophie. Oui, l’espèce humaine est bestiale et bonne, oui, l’esprit du mal règne dans la nature, qu’elle soit primitive, civilisée ou corrompue. Oui… mais l’amour triomphe et s’exprime aussi avec raffinement. Le Mage est maître de lui comme de l’univers, et les ivrognes… restent ivrognes. Même si on ne donne pas cher d’Antonio, tout le monde a fini par s’entendre.
Pièce politique ? Allégorique ? Métaphysique ? Pleine de poésie, en tout cas, si on entend, par-là, la création, grâce à l’imagination, d’un monde irréductible à une interprétation idéologique quelconque. Caliban, vicieux et cynique, fils d’une sorcière, n’est pas un bon sauvage et Prospéro n’est pas un colon. Prospéro usera jusqu’au bout d’une sagesse musclée avec son esclave et c’est Caliban qui dira de l’île ces vers gracieux : « Elle est pleine de rumeurs, de bruits, d’airs mélodieux qui charment sans nuire. »
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La mise en scène est resserrée avec cinq acteurs qui passent d’un personnage à un autre avec une virtuosité extraordinaire. Ils sont tous formidables de vivacité, de drôlerie, de gravité. Ariel, esprit de l’air qui rêve de liberté, et génie intérieur de Prospéro, incarné par Marguerite Danguy Des Déserts, a l’art de faire voir l’invisible en faisant tomber les personnages, grâce à ses gestes, son sourire, ses chansons, dans un sommeil propice à tout. Stéphanie Tesson aux traits lumineux polis dans le bronze, incarne à merveille le Magicien Prospéro, maître de lui-même et du jeu, imposant ses ordres par une douceur où il est tentant de lire souvent une manipulation délectable.
C’est Stéphanie Tesson qui a traduit le texte en se tenant à une littéralité qu’offre la dimension latine de la langue anglaise, et que lui permet sa connaissance de la littérature française courtoise. Ce qui donne au texte une force et une légèreté, une fraîcheur, une liberté qui s’autorise même une allusion à la fameuse « panthère des neiges ». La musique qui mêle des chants napolitains et Purcell dans King Arthur, aumoment du châtiment, est partout présente et merveilleusement choisie. Bref, on sort enchanté de ce spectacle, heureux et reconnaissant. Car s’il est vrai que nous sommes tous « de la même étoffe que nos rêves », et que la vie est un théâtre, soyons reconnaissants au Théâtre de Poche de faire merveille en dévoilant l’invisible.
Durée : 1h40. Informations et réservations: https://www.theatredepoche-montparnasse.com/spectacle/la-tempete-2/
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