"Je ne sais pas si cela se produira", mais "j'y suis prêt", répète-t-il, lucide sur la tenaille qui l'enserre: sans majorité absolue à l'Assemblée nationale et contraint de présenter un budget d'économies pour combler un lourd déficit.
Il sait aussi que la gauche, qui a remporté les élections législatives dans une Assemblée fracturée, a promis dès son arrivée de censurer ce Premier ministre de droite, et que le Rassemblement national, premier groupe à l'Assemblée, l'a placé dès le départ "sous surveillance".
Sans compter ses partenaires de la droite et du centre qui lui donnent aussi du fil à retordre.
Michel Barnier, 73 ans, est le chef de gouvernement le plus âgé de la Ve République. Son style incarne le vieux monde et il le cultive, par opposition au "nouveau monde" des macronistes.
Face au chahut des députés mardi, il a regretté que l'Assemblée nationale ait "bien changé". Et, dans ce contexte "électrique", il "est l'incarnation de la stabilité", loue une de ses ministres.
"Old fashion"
L'ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy aime se présenter comme "un montagnard" qui franchit "une étape après l'autre", "sans esbroufe", quand son prédécesseur, plus jeune Premier ministre de la Ve République, Gabriel Attal, communiquait beaucoup.
Au risque d'avoir une "lecture old fashion" de la politique, déplore une ancienne ministre macroniste, qui note parfois du "mépris" de la part du locataire de Matignon à l'égard du camp présidentiel, doublé d'une vision ancienne et "bipartite" de l'Assemblée.
"En vrai Barnier, c’est une énorme déception" ajoute la même élue, qui le décrit comme "rancunier" quand il raille le bureau "un peu vide" de Gabriel Attal ou veut revenir sur le bilan de ses prédécesseurs.
Cet homme "d'habitudes", couche-tôt et "méthodique", qui avoue lui-même ne pas être un "rigolo", a loué encore récemment à Limoges devant des industriels "l'endurance et la ténacité".
Michel Barnier veut "prendre le temps" pour aussi mieux le maîtriser.
Il a mis deux douloureuses semaines pour former son gouvernement, pris en étau entre les surenchères de la droite, les dissensions macronistes, et la fin de non recevoir de la gauche.
"C'est ce qu’il a fait (quand il était le négociateur de l'UE) sur le Brexit: il a étiré le temps et les procédures jusqu'au bout", relève un conseiller ministériel.
Puis, quand tout semble bloqué, il accélère. Il met sa démission dans la balance devant ses partenaires convoqués à Matignon. Et, face aux ambitions présidentielles de certains, droite comprise, il sort la carte d'un "candidat commun" pour 2027.
Il acte cependant aussi "l'impossibilité d’un vrai travail en commun", selon un député de sa coalition.
"Microcosme"
Quand Marine Le Pen pose un ultimatum pour obtenir de nouvelles concessions sur le budget, il affirme qu'il n'est "pas dans cet état d'esprit", avant de céder quasiment une par une à ses exigences dans la dernière ligne droite.
Mais le temps a fini par s'arrêter face à la surenchère. "Je ne croyais pas qu'elle oserait", a-t-il lâché lundi après une conversation téléphonique avec la cheffe de file des députés RN, bien décidée à voter la censure malgré ses gestes.
Marine Le Pen a "un agenda personnel", assène depuis l'entourage du Premier ministre, dans une allusion au procès des assistants du RN au Parlement européen, où la leader RN risque l'inégibilité.
L'ancien commissaire européen qui a réussi à négocier le Brexit, risque donc d'échouer cette fois-ci. Il vantait pourtant encore récemment son "expérience" face aux europhobes britanniques -"On a des (Nigel) Farage chez nous aussi".
Marié et père de trois grands enfants, Michel Barnier commençait tout juste à esquisser une "ligne d'horizon" d'actions de plus long terme.
L'ancien élu local de Savoie espère désormais qu'on garde de lui l'image "d'un honnête homme, patriote et européen, qui sert dignement son pays" et surtout pas le "microcosme parisien".
"Les ors de la République, je m'en fous", a-t-il lancé mardi soir à la télévision.