Connaissance du corps, repérage des situations de harcèlement, santé sexuelle… Annoncé par l’ex-ministre de l’Education Pap Ndiaye, le texte sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle à l’école (initialement prévu pour la rentrée 2024) fait en ce moment l’objet de consultations, en vue d’une présentation en décembre. Mais alors que sa version actuelle n’est toujours pas définitive, le programme suscite déjà la fronde des milieux conservateurs… et jusqu’au sein du gouvernement. Mercredi 27 novembre, le ministre (LR) délégué à la Réussite scolaire Alexandre Portier l’a ainsi jugé "inacceptable en l’état", et a assuré que "la théorie du genre ne trouverait pas sa place dans nos écoles". Plusieurs associations militant contre les violences sexistes et sexuelles dénoncent "des informations mensongères" et "dangereuses". L’Express fait le point sur cette controverse, et sur ce que contient réellement le texte.
A l’école maternelle et élémentaire, le programme est centré sur la vie affective et relationnelle. En maternelle, il prévoit la prise en considération du corps, des sentiments, émotions, du respect de l’intimité et de l’égalité entre filles et garçons. Avant quatre ans, il s’agit de connaître son corps (nommer ses différentes parties), d’avoir conscience de l’intimité, d’apprendre à accepter et refuser (à travers des situations comme "est-ce que je peux m’asseoir à côté de toi ?"), ou d’être sensibilisé à l’égalité entre filles et garçons (comprendre par exemple qu’une activité ou un métier peuvent être choisis par tous).
À partir de quatre ans, le programme inclut le fait d’identifier des adultes de confiance et d’apprendre à faire appel à eux, de distinguer ce que l’on peut garder pour soi (comme un secret) d’une situation de danger, ou encore de découvrir les différentes structures familiales (familles hétéroparentales, monoparentales, homoparentales, parents séparés…), selon ce projet de texte.
En élémentaire, les élèves se voient notamment présenter des connaissances scientifiques plus précises sur leur corps (avec un vocabulaire adapté à leur âge) et leurs émotions. À partir du CM1, ils apprennent aussi à connaître les principaux changements du corps à la puberté, à repérer les situations de harcèlement ou à comprendre les stéréotypes pour lutter contre les discriminations (par exemple lire des textes pour identifier les inégalités femmes/hommes dans l’histoire). En CM2, les enfants apprennent aussi à repérer et se protéger des violences sexistes et sexuelles, ou à connaître leurs droits pour un usage sécurisé du numérique.
À partir du collège, le programme aborde aussi la sexualité. Il s’agit d’aider les élèves à "s’approprier" les changements dont ils font l’expérience et "appréhender progressivement" la notion de sexualité "dans l’ensemble de ses implications", selon le projet de texte. La coanimation des séances est privilégiée, soit entre professeurs, soit entre enseignants et autres intervenants (médicaux notamment).
Il s’agit d’appréhender les changements du corps en 6e, l’orientation sexuelle et le fait de développer librement sa personnalité notamment en 5e. En 4e, la sexualité est abordée comme une "réalité complexe" (mêlant amour, reproduction, plaisir, faisant l’objet d’une série de représentations…) et en termes de santé (prévention des risques). En 3e, les élèves doivent être amenés à "interroger les liens entre bonheur, émotion et sexualité", "savoir caractériser les situations problématiques" (risques, mécanismes d’emprise…), les violences sexuelles ou les discriminations.
Au lycée, le programme invite "au développement de connaissances plus précises ou plus complètes". La classe de seconde doit "explorer les tensions entre l’intime et le social", celle de première "les conduites, tentations, plaisirs et risques" (à travers par exemple l’étude d’œuvres). La terminale "rassemble les acquis permettant à l’élève d’appréhender la sexualité en jeune adulte responsable", selon le projet de programme. Il s’agit, entre autres, de "connaître les sources fiables" pour accéder "à un soutien en matière de santé sexuelle".
Pas encore publié, ce futur programme révulse déjà les milieux conservateurs, appuyés donc par le ministre délégué Alexandre Portier, qui a assuré qu’il "s’engagerait personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles", reprenant l'expression utilisée par une frange conservatrice de la société qui s'inquiète des études et enseignements ouvrant à une perception nuancée des différences entre les sexes. "La théorie du genre n'existe pas, elle n'existe pas non plus dans le programme", répondu ce jeudi la ministre de l'Education Anne Genetet en marge d'un déplacement à Marcq-en-Baroeul (Nord), dans la banlieue de Lille. Ce programme "est très clair", "progressif", "adapté à tous les âges" et "permet d'apprendre des notions fondamentales comme le respect, comme le consentement, savoir dire non, ce que c'est qu'une fille, ce que c'est qu'un garçon", a-t-elle poursuivi.
Le projet doit être présenté à la mi-décembre au Conseil supérieur de l’éducation (CSE), instance consultative. Ces dernières semaines, des organisations conservatrices se sont mobilisées, comme le Syndicat de la Famille, ex-Manif pour tous, évoquant "un bourrage de crâne pro-gender et transactiviste". Ces groupes, proches de la droite ou de l’extrême droite, sont montés au créneau depuis la rentrée contre ce programme, avec notamment des diffusions de tracts devant des établissements scolaires, qui ont inquiété les syndicats enseignants.
Ces derniers sont, eux, unanimes pour affirmer que ce programme est réellement nécessaire. "On va demander que l’institution soutienne et protège les enseignants qui pourraient être attaqués une fois ce nouveau programme mis en place", a expliqué à l’AFP Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa.
"Des voix isolées mais véhémentes se font entendre pour attaquer ce programme et le vider de son contenu, voire pousser le gouvernement à y renoncer", a déploré de son côté la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). "Jamais", insiste-t-elle dans un communiqué, "le besoin d’instruire les enfants de manière ajustée à leur âge pour leur permettre de comprendre les enjeux de la vie affective, du consentement, n’a été plus évident et consensuel", dit l’organisation qui rappelle que 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles.
Même indignation au sein du collectif "pour une véritable éducation à la sexualité", mis en place en 2022 et qui compte dans ses rangs Le Planning Familial, la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF), Sidaction, entre autres. "En pleine actualité du procès Pélicot, la nécessité de mettre en œuvre une éducation permettant de prévenir les violences et de mieux repérer les victimes ne devrait plus être à démontrer", argumentent ces organisations.