Le tribunal correctionnel de Versailles a condamné Pierre C. et Julien C. à respectivement quatre ans et 15 mois de prison avec sursis, des peines au-delà de celles demandées par le ministère public - trois ans et douze mois de sursis.
Le tribunal a justifié ces peines dans un communiqué "eu égard à la nature et à la gravité des faits, à leur durée dans le temps, aux circonstances de leur commission et au préjudice engendré".
Un troisième pompier a lui été relaxé comme requis par le parquet et trois associations qui luttent notamment contre les violences sexuelles ont été reçues comme parties civiles.
Plus de 14 ans après les faits, cette décision marque la fin d'un marathon judiciaire pour Julie (nom d'emprunt) qui reçoit cette condamnation comme une "gifle" selon sa mère Corinne Leriche, venue seule au délibéré.
Entre ses 13 et 15 ans, Julie, âgée de 29 ans aujourd'hui, vivait avec sa famille en banlieue sud de Paris et suivait un traitement médical lourd, à cause de fréquentes crises de spasmophilie et de tétanie.
Pour lui porter secours, les sapeurs-pompiers interviendront plus de 130 fois à son domicile entre 2008 et 2010.
En août 2010, l'adolescente et sa mère portent plainte pour viols en mettant en cause Pierre C. l'année précédente, dont une fois en présence de deux collègues. L'enquête durera neuf ans et vingt pompiers interviendront dans la procédure, accusés également de viols par Julie - ils reconnaîtront les relations sexuelles mais nieront tous une quelconque contrainte.
En juillet 2019, un juge a requalifié les faits en atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise sur mineure de moins de 15 ans en réunion et renvoyé les trois prévenus devant le tribunal correctionnel, suscitant la colère de la famille et des associations féministes.
Question du consentement
"Après 15 ans de combat, qu'est-ce que je dis à ma fille ?" s'interroge Mme Leriche, émue aux larmes, se disant "effondrée".
"L'un des deux condamnés n'était même pas là pour accueillir sa peine et ils sortent libres du tribunal", déplore-t-elle.
"Pour la première fois, une juridiction pénale consacre les faits qu'elle a dénoncés, on ne pourra plus désormais l'accuser comme certains l'ont fait d'être une affabulatrice et une menteuse", a pour sa part réagi auprès de l'AFP l'avocat de Julie et sa famille, Me Emmanuel Daoud.
Contactée, l'avocate du principal condamné, Me Daphné Pugliesi, indique que Pierre C., qui avait reconnu les faits, "accepte totalement cette condamnation".
Comme au procès des violeurs de Mazan, la question du consentement était au centre de ce dossier.
Mais les faits étant survenus avant avril 2021, date depuis laquelle un adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d'un mineur s'il a moins de 15 ans (18 en cas d'inceste), les pompiers mis en cause ont été jugés selon l'ancien texte de loi, plus clément.
"C'est un nouveau crachat au visage des militantes féministes qui luttent contre la culture du viol et contre l'impunité", a réagi pour l'AFP Emmanuelle Handschuh, membre de la coordination nationale du mouvement féministe Nous Toutes.
De leur côté, les trois prévenus ont "constamment assuré" que Julie "n'avait manifesté aucune réticence", selon leurs déclarations lors de l'instruction.
Pierre C. a reconnu avoir appris l'âge de Julie lors d'une intervention à son domicile et ne pas avoir voulu "mettre un terme" à la "relation" qu'il aurait eu avec elle, thèse qui a ulcéré les parties civiles.
Dans ce dossier, Julie avait déposé une plainte avec constitution de partie civile en 2021 afin de demander la mise en examen de 17 autres pompiers, dont nombre d'entre eux ont été entendus dans la procédure, plusieurs niant connaître son âge.
Un non-lieu avait été rendu. Julie s'est finalement désistée de l'appel formé contre cette décision, a annoncé sa mère, l'heure étant aujourd'hui à la "reconstruction" pour la jeune fille exsangue après des années de procédure, bien que la justice ne se soit "pas montrée à la hauteur", a-t-elle estimé.
Un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est cependant toujours en cours, précise l'avocat de la famille.
Julie est aujourd'hui handicapée à 80% après plusieurs tentatives de suicide.