Faire ses courses est devenu une science. Un consommateur avisé n’achète pas ce qu’il aime (qui est généralement mauvais pour la santé) mais ce qui est bon pour ses enfants, pour le climat et pour la planète. Les produits alimentaires se vendent désormais avec un manuel d’utilisation (ce qui n’est bien rigolo quand on aime lire les paquets de ce qu’on mange au petit-déjeuner). Des labels, des normes, des sigles, des logos et des garanties (produit sans ceci ou sans cela) sont supposés orienter le consommateur…
Pour la Cour des comptes européenne, ils ont plutôt tendance à l’égarer. Son audit a été réalisé sur la période 2011-2023[1]. Ils ont dû en voir des étiquettes… Verdict : il n’y a jamais eu autant d’infos sur nos paquets de nourriture. Des centaines de labels, des empilements de normes nationales et européennes, plus d’innombrables allégations sur les vertus nutritionnelles ou sanitaires de tel ou tel composant. Le bidule est bon pour votre mémoire. Le machin excellent pour votre vigueur physique etc. À l’arrivée, le consommateur est perdu, parfois trompé. Par exemple, étonnament, aucune règle ne conditionne l’usage du mot « naturel », propre à déclencher l’impulsion d’achat (qui achèterait une boisson se présentant comme chimique ?).
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Pourquoi y en a-t-il autant ? Dans les coulisses, on imagine des bagarres de lobbies agro-industriels autour de toutes ces normes. Ainsi, il y a une guerre du Nutriscore, adopté par trois pays de l’UE dont la France mais auquel l’Italie est très hostile notamment en raison de ses fromages qui seraient mal notés.
Mais, il y a une véritable raison qui explique cette guerre souterraine des labels et des lobbys: nous sommes des consommateurs soupçonneux et procéduriers. Nous voulons tout savoir sur ce que contient notre assiette: a-t-on parlé gentiment au poulet, quel est son bilan carbone, n’y a-t-il pas eu deux grammes de trop de pesticide sur les aliments qu’il a mangé ? C’est pareil pour nos voitures et nos téléphones (encore qu’on soit moins regardant sur le bilan carbone réel de ces derniers). Toutes ces étiquettes ne nous empêchent pas d’acheter des cochonneries industrielles et de consommer ce qu’on appelle la junk food, mais au moins on sait que c’est mauvais pour nous. Accessoirement (enfin pas tant que ça), cette inflation normative contribue à l’obésité de la Fonction publique. Il faut des gens pour édicter les normes, les appliquer, vérifier leur application, contrôler la vérification, etc. Des armées de fonctionnaires sont ainsi mobilisées pour veiller à la qualité de tout ce qui se fabrique.
C’est ce qu’on appelle la société de défiance. Moi, consommateur, j’ai des droits sacrés. J’exige de tout savoir. Et je me méfie de tous – producteurs, État, supermarché… Certes, on a besoin d’une information minimale et honnête. Mais aujourd’hui, les processus de productions sont standardisés, les normes d’hygiène et de sécurité doivent heureusement être respectés partout. Il me semble qu’on devrait moins s’inquiéter de ce qu’on met dans l’assiette de nos enfants que de ce qu’on leur fourre dans la tête.
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[1] https://www.eca.europa.eu/fr/news/NEWS-SR-2024-23
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