Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises les autodafés. Dictatures et pouvoirs d’essence totalitaire en sont coutumiers. Et pas que dans les œuvres de fiction qui ont traité du sujet. La Révolution française et l’un de ses personnages emblématiques, Robespierre, n’était par exemple pas en reste, comme nous avons déjà eu également l’occasion de le rappeler.
Dans les pays libres et démocratiques, en revanche, rien ne laisserait présager qu’il puisse en aller de même. Et pourtant…
On pourrait penser de manière légitime que, par nature, les démocraties sont un système dans lequel règnent le débat, la tolérance, la liberté d’expression. Mais rien n’est moins sûr.
Passons à l’intolérance, fléau bien répandu, la violence radicale, que l’on pourrait penser réservée à des esprits ravagés par l’idéologie, le reflux insidieux de la pensée, de plus en plus ancré dans des sociétés où le divertissement prend le pas sur la profondeur de la réflexion et sur la vie en société. Non, il y a ici aussi des livres que l’on châtie, que l’on brûle sous prétexte que les idées qui y sont contenues seraient douteuses ou choquantes, ou remettraient en cause l’idéologie dominante.
Mais bien plus encore, interdire des livres semble maintenant presque devenir monnaie courante. Aux Etats-Unis, chantre de la démocratie et des libertés, on en vient à interdire en certains lieux des romans aussi célèbres que L’attrape-cœurs, Les raisins de la colère ou Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. Ce qui inspire à Marc Lévy la sortie de son dernier roman, La librairie des livres interdits.
Il est vrai que la guerre fait rage là-bas. Et si la chaîne France info dénonce elle aussi cette forme regrettable de censure, il ne faut pas oublier non plus que la censure ne vient pas seulement de milieux très « conservateurs ». Elle vient aussi et sans doute plus encore des mouvements woke, qui ne se sont pas contentés de déboulonner les statues, mais de falsifier autant que faire se peut le passé, dans toutes les dimensions de ce qui peut déplaire à certains esprits. Jusqu’à réécrire les livres.
Passe encore que Dix petits nègres, ait été rebaptisé Ils étaient dix. Il y a eu aussi la suppression de passages entiers des romans de Roald Dahl ou d’autres encore, et tout ce que Samuel Fitoussi dénonce comme un asservissement de la fiction au consensus moral en vigueur.
Aujourd’hui, une fois encore devrait-on dire car ce n’est pas la première fois, on apprend que 80 librairies annoncent boycotter les livres du groupe Bolloré. Censure, vous avez dit censure ? Après l’épisode non dénué de mauvaise foi de la part de la régie publicitaire de la SNCF de la censure des affiches publicitaires du dernier livre de Jordan Bardella, on n’est plus surpris de rien. Et tout ce que l’extrême-gauche compte d’esprits vertueux n’est pas la dernière à aller en ce sens.
Pendant que tous ces gens-là s’offusquent que les idées qui leur déplaisent puissent s’exprimer, c’est Kamel Daoud qui se trouve censuré en Algérie, pour ce même livre qui lui vaut ici le prix Goncourt. C’est Boualem Sansal qui se fait arrêter dans son pays. Celui-là même qui dénonçait de sa plume les totalitarismes.
Alors, que penser de la liberté d’expression en 2024 ?