Les branches volent et les feuilles tourbillonnent. À peine le temps de retomber sur le sol humide qu’elles s’élèvent de nouveau, dans une valse répétitive orchestrée par Caetano, la tempête qui a traversé la France ce jeudi 21 novembre. La campagne nantaise n’a pas été épargnée par l’épisode hivernal précoce. Des rafales de vent y ont dépassé les 120 km/h. Si elle a semé la pagaille dans de nombreux secteurs, la tempête a fait quelques heureux. Ceux qui comptent sur l’activité éolienne, que la météo du jour a placé dans des conditions optimales. Et surtout les premiers clients du "Fan club" d’Octopus Energy, fournisseur d’électricité à l’origine de cette offre inédite sur le territoire : livrer des électrons à prix réduit pour les foyers situés à proximité du parc éolien des Touches II, en Loire-Atlantique.
Une bonne affaire par gros temps. André Lambert, résident de Teillé, l’une des dix communes où le service est accessible, ne dira pas le contraire. Sur le tableau de bord de son compte client, l’aiguille affiche -50 %. À ce moment précis du début d’après-midi, le prix du kilowattheure (KWh) lui est facturé moitié moins, puisque l’éolienne dépasse de très loin le palier des 3 000 kW fixé pour bénéficier de cette réduction. Un autre tarif préférentiel existe, quand le temps est plus clément : -20 % sur la facture si l’éolienne produit plus de 100 kW.
Le suivi par tranche de 30 minutes de la production du parc, implanté à une dizaine de kilomètres, permet au retraité d’optimiser sa consommation pour profiter des créneaux où les économies sont les plus intéressantes. "Hier soir, par exemple, j’ai vu que la nuit allait être calme, mais que le vent allait souffler le lendemain. J’ai donc attendu avant de mettre ma voiture électrique à charger", explique-t-il. Grâce à Caetano, ses deux véhicules ont leur autonomie au maximum, et sa batterie domestique affiche aussi 100 %. "Je ne connaissais pas Octopus Energy il a trois mois. Je me suis accroché au projet et je n’y vois que du gagnant", assure André Lambert. À tel point qu’il vante désormais les mérites de cette nouvelle offre à ses voisins, au boulanger de la commune ou à son édile, et les incite à sauter le pas.
Ce "Fan club" pourrait-il être le chaînon manquant des projets éoliens ? Celui qui permet des retombées concrètes aux riverains, jusqu’ici davantage échues aux collectivités et aux propriétaires des terrains ? La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite APER, tente bien d’augmenter localement "le partage de la valeur", mais elle peine toujours à le rendre visible pour les particuliers. "Ils n’en palpent pas financièrement les effets", abonde Jean-Pierre Belleil, maire de Joué-sur-Erdre, commune éligible à la nouvelle offre. "On veut casser cette idée du 'je vois les éoliennes dans mon paysage mais il n’y a rien pour moi'. L’objectif est de créer un bénéfice direct et visible sur la facture", avance Lancelot d’Hauthuille, le directeur général d’Octopus Energy France. Selon ses prévisions, les clients enregistreraient une baisse annuelle d’environ 20 % de leur facture d’électricité. "C’est un vrai lien sur le réel", approuve Nikita Ghelelovitch, responsable du développement dans l’Ouest de SAB Energies Renouvelables, l’exploitant du parc éolien en question.
Ce dernier y voit surtout une étape pour faciliter l’acceptabilité des parcs. À La Touche, le plus dur était déjà fait : les trois mâts (3 MW chacun) ont certes été mis récemment en service, fin 2023, mais ils s’ajoutaient à six éoliennes existantes, déjà bien intégrées dans le panama local. À l’avenir, l’argument tarifaire pourrait peser lorsqu’il faudra convaincre les habitants les plus rétifs aux projets qui partent de zéro. Lors d’une présentation pour l’un d’eux dans les Côtes-d’Armor, Nikita Ghelelovitch a évoqué l’expérimentation auprès d’une opposante. "À la fin, elle m’a dit qu’elle reconsidérerait sa position si on la mettait en place", raconte-t-il.
Le concept a déjà séduit outre-Rhin, sur deux secteurs, mais surtout outre-Manche, où Octopus Energy est le leader du marché. L’offre "Fan club" y est proposée pour trois parcs éoliens terrestres et un en mer. La réduction, dans ce dernier cas, s’applique aux habitants de la côte "à proximité visuelle du champ", explique Lancelot d’Hauthuille. En tout, près de 36 000 clients britanniques y ont souscrit. En France, c’est plutôt de l’ordre de quelques centaines pour l’instant, sur un potentiel de 10 000 à 12 000 foyers dans la zone concernée. Rien d’inquiétant pour une offre lancée mi-octobre. "Nous ne sommes qu’au début de l’histoire", promet l’ex-cofondateur de Plüm énergie.
D’autres projets similaires pourraient voir le jour dans les trois à six mois. Octopus Energy voudrait aussi copier dans l’Hexagone l’application Winder lancée au Royaume-Uni, sorte de "Tinder" de l’éolien, sur laquelle les citoyens eux-mêmes font la demande pour avoir de tels projets à proximité de chez eux. Charge ensuite au fournisseur de concrétiser leur souhait. "Ça change la donne dès lors que la volonté vient des riverains, plutôt que d’avoir 6 ou 7 ans de recours interminables", admet Lancelot d’Hauthuille.
L’entreprise, qui a débarqué en France en 2022, possède cinq parcs éoliens sur le territoire. Insuffisant pour fournir l’électricité à ses 350 000 clients. Elle s’appuie donc sur un réseau de plusieurs producteurs indépendants d’énergies renouvelables, qui pourraient avoir envie de suivre le chemin tracé par SAB et dupliquer le "Fan club". Il est certain que les gros poissons du secteur, comme EDF ou Engie, gardent également un œil sur l’expérience ligérienne. "Je serai ravi d’être copié, devance le responsable d’Octopus. Car je suis convaincu que l’initiative est vraiment efficace." André Lambert aussi. Le vent gémit toujours à l’extérieur de sa maison, chauffée et éclairée à moitié prix grâce aux rafales. Il s’interroge : "Pourquoi les autres ne l’ont-ils pas fait avant ?"