Bruno Le Maire, Gabriel Attal, Elisabeth Borne, Emmanuel Macron... Après plusieurs auditions, la commission des finances du Sénat n'a épargné personne au moment d'attribuer des responsabilités au dérapage budgétaire majeur que connaît la France depuis plusieurs mois.
Selon les conclusions de la mission d'information, tous les anciens dirigeants, à Bercy, à Matignon comme à l'Elysée, ont leur part de responsabilité dans le creusement du déficit public, attendu à 6,1% du PIB fin 2024, contre 4,4% prévu initialement. Déficit qui ne passerait sous les 3% autorisés par l'UE qu'en 2029, faisant de la France un mauvais élève européen.
"Au sentiment général du déni collectif sur la situation des finances publiques, s'ajoute désormais un sentiment d'irresponsabilité de ceux qui étaient alors au gouvernement", a lancé lors d'une conférence de presse le rapporteur de cette mission "flash", Jean-François Husson (Les Républicains).
"Le gouvernement connaissait en réalité l'état critique de nos finances publiques dès le mois de décembre 2023. Il aurait dû, selon nous, réagir vigoureusement. Mais il ne l'a pas fait", a repris le président socialiste de la commission des Finances Claude Raynal.
"Calculs à courte vue"
Les deux sénateurs estiment aussi que de nombreux mois ont été "perdus" dans le rétablissement des comptes, en raison des remaniements et surtout de la dissolution, prémisse d'une "trop longue attente dans la désignation du nouveau Premier ministre". Ils regrettent aussi l'absence de budget rectificatif au printemps, décidée selon eux par des "calculs à courte vue" sur fonds d'élections européennes et de risque de censure.
La mission de la chambre haute, menée en début d'année 2024 et relancée ces dernières semaines face à une dégradation des comptes bien plus inquiétante que prévu, touche à sa fin juste avant que le Sénat ne se saisisse du projet de budget de l'Etat pour 2025, examiné dans l'hémicycle à partir du 25 novembre.
Et l'Assemblée nationale s'apprête à prendre le relais: elle mènera dans les prochaines semaines une commission d'enquête sur le même thème.
Le dossier est ultrasensible, en plein coeur d'un automne budgétaire à haut risque pour le gouvernement de Michel Barnier, menacé de censure par les oppositions à l'Assemblée nationale, où le camp gouvernemental est très minoritaire. D'où l'intérêt pour le Sénat et sa majorité de droite de crever l'abcès au plus vite, pour éviter de rééditer de nouvelles "erreurs de pilotage".
Autre intérêt pour LR: se différencier de l'ex-majorité macroniste, alors que la droite fait désormais partie de la coalition gouvernementale et tente de justifier son soutien à un budget très impopulaire, avec 60 milliards d'euros d'effort demandés à toutes les strates de l'économie.
Notes internes
Les deux sénateurs estiment que les services de l'Etat disposaient d'informations sur le dérapage des finances publiques dès la fin 2023 et que le gouvernement a tardé à agir ou communiquer sur le sujet.
Ils s'appuient notamment sur diverses notes internes du Trésor, ainsi que sur une missive envoyée le 13 décembre 2023 par les ministres de l'Economie Bruno Le Maire et des Comptes publics Thomas Cazenave à Elisabeth Borne, alors Première ministre, lui recommandant de communiquer sur "le caractère critique de (la) situation budgétaire".
"Les ministres ont tenu un double discours" entre cette note interne, perçue comme une "alerte" par Mme Borne, et leurs prises de position publiques rassurantes de l'époque, s'indigne la mission sénatoriale.
Lors de leurs auditions, les anciens responsables se sont eux défendu de toute "dissimulation", assurant tous avoir "maîtrisé la dépense" et avoir réagi avec célérité au fil des actualisations économiques, en gelant des milliards de crédits notamment.
L'explication, selon eux, réside surtout dans une erreur d'évaluation des recettes fiscales, inférieures de 41,5 milliards d'euros aux prévisions.
Bruno Le Maire avait aussi renvoyé une partie de la responsabilité sur ses successeurs, reprochant au gouvernement Barnier de ne pas avoir "mis en oeuvre" des mesures de redressement préparées durant l'été par l'équipe démissionnaire.
Gabriel Attal avait lui défendu son ancien ministre, fustigeant un "procès politique et médiatique scandaleux" à son encontre.