" Kamala Harris, c’est la vice-présidente la plus marginalisée de l’histoire des États-Unis depuis Lyndon Johnson sous Kennedy !" explique Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS (*). "Biden n’a jamais pu la piffrer. Le président ne lui a jamais pardonné sa véhémence à son endroit lors de la primaire de 2020". S'il l’a choisie comme colistière, poursuit le chercheur, "c'est pour des raisons évidentes : il fallait une femme, de couleur et compétente".
Marginalisée, donc, "au point que les Américains ne la connaissaient pas vraiment et ils avaient une impression d’amateurisme […] Si elle a réussi un début de campagne de qualité, elle a dû aussi, dès le départ, pratiquer un grand écart impossible à tenir. Sans l’apport des républicains modérés qui auraient pu opter pour elle contre Trump et sans la gauche du parti démocrate (40 % de l’effectif), elle ne pouvait pas être élue".
"Plutôt martiale que bonne copine""Or cette gauche", pointe Romuald Sciora, "était opposée à la politique Biden-Harris quant au conflit à Gaza et au Liban, cela a profité à l’écologiste Jill Stein qui a failli gagner la Virginie. Harris a dû faire des cadeaux, promettre à un républicain d’avoir un poste dans son gouvernement, ce qui a encore déplu à la gauche démocrate.
C’est un peu comme si en France, François Bayrou devait se mettre dans la poche les républicains de Ciotti et les partisans de Mélenchon
Ensuite, "à partir de septembre, elle a fait une campagne catastrophique. Elle aurait dû se “Angelamerkeliser” car les États-Unis en crise, bien loin de leur image d’économie triomphante, auraient voulu une présidente à l’allure martiale, pas une bonne copine.
Une campagne des années 90"Elle a fait une campagne des années 90, riant, plaisantant en permanence, à la Hillary Clinton, entourée de stars, ce qui en a agacé plus d’un. Cela a donné l’impression d’une femme enfermée dans sa “bubulle”, ce qui n’est pas le cas. Enfin, il y a eu aussi cette absence de programme. Lorsqu’un candidat se présente à la présidence, il a deux ans pour préparer le terrain : Kamala Harris s’est retrouvée propulsée début août 2024.
Difficile pour elle, alors, de reprendre les choses en main et de rédiger un programme abouti qui lui soit propre. Pour ménager, encore, gauche et droite, elle a essayé de s’exprimer sur un minimum de choses, quitte à refuser des interviews à de grands médias dont Time Magazine ! Cette présidence démocrate a, enfin, été très décevante pour les Américains. Beaucoup de promesses n’ont pas été tenues".
(portrait Benjamin Charlery)Sophie Leclanché
(*) Institut de Relations Internationales et Stratégiques