Zeta Shoes : une start-up à impact bien dans ses baskets

Laure Babin a démarré seule, en autofinançant son projet de start-up, pratique autrement désignée sous le nom de " bootstrapping " dans l'écosystème entrepreneurial. Alors étudiante en dernière année de master de management à l'IAE de Bordeaux, la fondatrice de Zeta, marque zéro déchet de sneakers vegan, recyclés et produits en circuit-court, songe à plus d'une reprise à jeter l'éponge. " La difficulté première, c'était d'allier mes études et mon projet entrepreneurial. C'était compliqué de mener les deux à bien, d'autant que je travaillais dans un bar à côté des études pour financer les prémices du projet ", reconnait-elle. Pas forcément à l'aise sur les sujets marketing et financiers, l'étudiante bordelaise admet avoir eu du mal à embarquer des partenaires dans l'aventure. " Je n'avais besoin de pas grand-chose pour me lancer ", confie la PDG. Des difficultés qu'elle rencontre également lorsqu'elle tente de nouer des liens avec les usines de chaussures, situées au Portugal. " C'est un milieu encore très patriarcal malgré tout, où environ 90 % des usines sont dirigées par des hommes, constate-t-elle. Je ne leur disais pas que j'étais encore étudiante, mais ils se doutaient bien de mon âge. " Bon gré, mal gré, Laure Babin tient bon et parvient à les convaincre. Le projet est alors sur les rails. 

Pour Laure Babin, l'envie d'entreprendre dans un projet à impact remonte à ses années d'études. " Chaque année, j'eu un projet entrepreneurial. Il y a eu une marque de T-shirts responsables, un projet de laverie collaborative, une application mobile pour rencontrer d'autres étudiants à l'étranger. Je n'allais jamais au bout des projets, je m'arrêtais au business plan. Ça manquait de sens et d'impact ", témoigne-t-elle. Elevée par des parents instituteurs, Laure Babin n'a pas baigné dans l'entrepreneuriat mais a en revanche toujours éprouvé ce besoin de s'accomplir dans un projet riche de sens à construire à la force de ses bras. " J'avais fait tous mes stages dans l'industrie de la mode et de la chaussure, au Cambodge, au Pérou ou aux Pays-Bas ", explique-t-elle. Peu à peu, l'Angevine prend conscience des enjeux environnementaux et sociaux autour de l'industrie textile et en particulier du marché de la basket : " c'est un produit vendu par milliards chaque année et très controversé, puisque fabriqué à partir de matières polluantes, généralement dans des pays en voie de développement et dans des conditions très opaques. " En effet, la seule fabrication d'une paire de baskets demande des milliers de litres d'eau et consomme quasiment 15 kg de CO2, soit un impact considérable sur l'environnement - surtout lorsqu'on rapporte cela à un marché qui pourrait peser plus de 100 milliards de dollars en 20261. D'où la nécessité, pour l'entrepreneure bordelaise, de " déconstruire tout ça et de recréer ce produit, mais de façon intelligente, propre, en Europe et à partir de matières recyclées. " 

En apparence, la chaussure Zeta a l'air d'une basket en cuir des plus classiques. Pourtant, aucune trace de matière animale : tous les matériaux utilisés dans la fabrication des différents modèles proposés par la marque sont entièrement recyclés, vegan et sourcés " au plus proche des usines de fabrication et d'assemblage des chaussures pour limiter le transport ", précise l'entrepreneure. La start-up ne source que des matériaux situés en Europe et fabriqués en circuit-court : ainsi, Zeta a commencé par exploiter le marc de raisin, récupéré après les vendanges, avant de lancer de nouvelles collections à partir de marc de café ou encore de mais. " On essaie d'être le plus transparent possible, c'est l'un des piliers de la marque, avance Laure Babin. On détaille le prix de chaque produit, la composition des matières, ce qui se passe dans les usines, qui sont les artisans qui fabriquent les chaussures, etc. " Animée par l'innovation, la start-up a récemment lancé une nouvelle collection à base de déchets oléicoles, générés par la production d'huile d'olive en Turquie. " On est tombé dessus un peu par hasard et on s'est rendu compte que de toutes les matières qu'on avait pu trouver, c'était celle qui avait la composition la plus propre ", souligne la créatrice de Zeta, qui a effectué un périple de 3 000 km (sans prendre l'avion) jusqu'en Turquie afin de rencontrer les concepteurs de cette matière réintégrant 87 % de déchets oléicoles. Contrairement à d'autres matériaux, ce similicuir ne nécessite ni eau ni solvant lors de sa fabrication et consomme, selon Laure Babin, jusqu'à six fois moins de CO2 que du cuir animal. Une belle avancée.   

Avec à ce jour plus de 45 000 paires vendues et plus de trois millions d'euros de chiffre d'affaires généré, la jeune pousse bordelaise peut se targuer d'avoir su grandir tout en restant entièrement autofinancée. Incubée à la Cité Numérique de Bègles (Nouvelle-Aquitaine) pendant sa première année d'existence, la start-up a démarré en trombe ses premières ventes grâce à une campagne de crowdfunding, et s'est naturellement tournée vers un modèle DNVB (Digital Native Vertical Brands). " C'est ce qui me paraissait le plus simple au lancement, on n'avait pas encore les marges suffisantes pour avoir des intermédiaires et faire de la distribution physique ", explique Laure Babin. Mais très vite, la marque va être contactée par des boutiques désireuses de les référencer. " Naturellement, on a évolué vers quelques points de vente physique. Aujourd'hui on travaille avec des agents commerciaux qui nous représentent pour la distribution. " Le modèle économique de la start-up, dont les ventes décollent, atteint alors une forme d'équilibre, entre environ 50 % d'e-commerce pour autant de ventes physiques en Europe comme en Asie. Et bientôt les Etats-Unis ? " Aujourd'hui on distribue uniquement en Europe parce qu'on ne fait pas d'expédition par avion ", note la fondatrice. Soucieuse des enjeux de transparence, la fondatrice ne se réfugie pas derrière de beaux discours : il faut des actes concrets, comme bannir les trajets en avion, soutient-elle. " On est une des seules marques de baskets éco-responsables à le faire ", rétorque Laure Babin, dont la société est en cours d'obtention des label B Corp et d'entreprise à mission. " Ce dont on a besoin aujourd'hui, ce sont des marques qui s'engagent vraiment. " Pour autant, l'entrepreneure ne ferme pas la porte à l'export, tout au contraire : " on va trouver des moyens de contourner la distribution par avion, notamment en acheminant nos produits par la route de la soie pour l'Asie ou par voilier cargo pour les États-Unis. "  

Bien résolue à gagner les marchés nord-américain et asiatique, la jeune pousse bordelaise a pour la première fois décidée d'ouvrir son capital, à la fois à des business angels et family offices, mais également à sa propre communauté, pilier de la marque depuis son lancement sur Ulule en 2020. " C'était normal de leur rendre la pareille et de leur permettre de devenir actionnaires, déclare l'entrepreneure. Ça fait quatre ans qu'on grandit indépendamment et à notre rythme. Aujourd'hui, on a besoin d'accélérer ". La marque est ainsi parvenue à lever plus de 466 000 euros en financement participatif, explosant son objectif initial de 300 000 euros. Ce premier tour de table permettra ainsi à la jeune pousse de consolider ses équipes en interne (qui comptent actuellement neuf collaborateurs mais seulement trois à plein temps), de financer sa stratégie à l'export et de continuer à innover sur des matières innovantes pour tendre, à horizon 2026, vers des sneakers 100 % biodégradables. " Cette basket faite à base de mycélium pourra être plantée lorsque le consommateur l'aura trop portée, détaille Laure Babin. Elle aura ainsi la double propriété de nourrir les sols et de contribuer, à son échelle, à la reforestation. "

Même si sa start-up présente encore quelques axes d'amélioration, à l'instar du transport, Laure Babin réfléchit activement à des solutions et semble bien déterminée à embarquer clients et partenaires vers la slow-fashion, qui vient une fois de plus de montrer sa viabilité avec Zeta. " Avant de se lancer, il faut que le projet ait un impact social, environnemental ou sociétal. On ne peut plus construire un projet sans une de ces dimensions, c'est trop important, note l'entrepreneure, avant de conclure : c'est aux marques et aux entrepreneurs de faire changer les choses. Aujourd'hui je sais pourquoi je me lève chaque matin. Il y a des moments difficiles, des coups durs, mais ce qui me permet de continuer, c'est de savoir qu'on a de l'impact. C'est grâce à tout cela que je reste motivée sur le long terme. " 

Sources 

1 Valeur prévisionnelle du marché des chaussures de sport au niveau mondial entre 2019 et 2028 (Statista)

Cet article a été publié initialement sur Big Média Zeta Shoes : une start-up à impact bien dans ses baskets