"C’est comme une insulte à notre égard. On a une production de qualité. Ça remettrait en cause tout notre système, toute notre agriculture, tout notre avenir. Comment installer des jeunes quand on importe de la viande d’ailleurs ?"
Devant la petite assistance réunie, Valentin Delbos, président des Jeunes agriculteurs (JA) du Cantal, ne mâche pas ses mots. À quelques jours du G20, qui se tiendra au Brésil les 18 et 19 novembre, la FDSEA et les JA font front commun. Jeudi, ils se sont réunis au Gaec de la Vache rouge, situé à "Runhac", sur la commune de Vézac, pour faire part de leurs inquiétudes à Hervé Demai, secrétaire général de la préfecture (*).
"Vous même vous serez dépassés"Ce qui cristallise les tensions parmi ces éleveurs cantaliens et plus généralement de ceux de l’Hexagone, c’est un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Uruguay, Brésil, Paraguay et Bolivie). Au cœur du problème, son volet commercial qui prévoit, entre autres, une réduction des barrières tarifaire, en supprimant la quasi-totalité des droits de douane.
Joël Piganiol, président de la FDSEA et Valentin Delbos, président des JA du Cantal.
Conséquence, près de 99.000 tonnes de bœuf pourraient être importées d’Amérique du Sud vers la France chaque année. Cela concerne "notamment les aloyaux qui sont des morceaux piécés. C’est une vraie concurrence sur des morceaux qu’on retrouve dans les foyers ou dans les restaurants dans toute la France", s’indigne Joël Piganiol, président de la FDSEA du Cantal.
Les risques sanitaires inquiètent également les éleveurs, les règles n’étant pas similaires sur les deux continents. "Si cet accord venait à passer, vous n’aurez pas les moyens de payer des gens supplémentaires pour contrôler la viande et techniquement, c'est impossible. Vous-même, vous serez dépassés », interpelle Brigitte, éleveuse cantalienne.
Face à la grogne du monde paysan, la Commission européenne a récemment proposé « un fond de compensation ». Une mesure loin d’être au goût des agriculteurs.
"On ne veut pas que l’Union européenne achète notre silence avec un chèque"
Et "on refuse tout compromis", appuie Joël Piganiol. "Sur le Mercosur, la France a une position qui demeure ferme depuis le début", répond Hervé Demai, rappelant que le pays s’oppose à l’accord. Une posture qui reste toutefois isolée face aux vingt-sept.
Pour contourner ce véto, la Commission européenne envisage donc de scinder l’accord. Une inquiétude pour les agriculteurs. Si, "pour l’instant, le marché de la viande va bien", le Mercosur reste "une épée de Damoclès", résumé Joël Piganiol, éleveur de limousines installé à Sénezergues.
Le FCO-8, une inquiétude bien présente"C’est vrai, pour la viande salers, on est passé de 2,60 euros l’année dernière à 3,50 euros le kilo", confirme Guillaume Basset, 24 ans, hôte de cette rencontre avec son frère Clément. Depuis le début de l’année, ils sont à la tête du Gaec de la Vache Rouge, 140 hectares, 120 vaches salers, dont 80 allaitantes. Pour le duo installé récemment, le Mercosur n’est pas la seule crainte.
La principale réside dans les maladies, à l’instar de la FCO-8 (fièvre catarrhale ovine), qui a touché récemment leur exploitation, "laissant derrière quatre vaches" du cheptel. Et ils ne sont pas les seuls.
FCO-8, FCO-3, MHE, fièvre charbonneuse : la situation sanitaire inquiète la chambre d'agriculture du Cantal
"L’année dernière, c’est la moitié ouest du département qui était frappée par la maladie. Cette année, c’est le nord-est, avec l’apparition d’un variant de la FCO-8 qui a fait plus de dégâts. Pas forcément en termes de mortalité, mais avec d’autres difficultés en termes de production de lait, de vêlage", décrypte Myriam Savio, à la tête de la Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP). Du côté des élevages ovins, "il y a de la mortalité et une surmortalité certaine", assure-t-elle.
"On attend du gouvernement qu’il indemnise les pertes directes et indirectes, qu’il accompagne les éleveurs, répond Valentin Delbos. On est en train de construire un dispositif pour qu’ils le soient tous."
Myriam Savio, à la tête de la Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP).
Manque de vétérinaires dans le territoire rural, complexité des démarches administratives, contrôles tardifs… Neuf mois après les manifestations dans toute la France et le blocage de l’A75 à Saint-Flour, les revendications de la profession sont multiples et la colère s’élève de toutes parts. "On est capable de se mobiliser, on fera tout ce qu’il faut, vous pouvez compter sur nous", prévient Valentin Delbos.
(*) Il représentait le nouveau préfet du Cantal, Philippe Loos, qui a été nommé la semaine dernière en remplacement de Laurent Buchaillat, nommé préfet du Tarn en octobre.
Texte : Camille Gagne Chabrol
Photos : Jérémie Fulleringer