" Ce n'est pas parce qu'on est pauvre qu'on doit mal manger ". Le credo derrière la raison d'être de Label Gamelle a tout d'un slogan publicitaire mais il n'en est rien. Cette phrase représente l'ADN de l'entreprise d'insertion installée dans la zone d'activité industrielle de Mozinor à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Et, elle aura permis à Christine Merckelbagh de réussir une levée de fonds impressionnante pour concrétiser son projet. Un million d'euros... " J'ai ratissé, je suis quelqu'un de pugnace, je ne lâche rien ", confie tout sourire, cette ancienne cadre dans le secteur de l'assurance. Créée en 2019, la structure a démarré son activité au moment du deuxième confinement en novembre 2020. Près de quatre ans plus tard, l'aventure entrepreneuriale de Label Gamelle est à son apogée. " On a atteint notre équilibre financier depuis notre première année de lancement et on va atteindre cette année les deux millions d'euros de chiffres d'affaires, c'est incroyable avec toutes les crises que l'on a rencontrées ", avance la cheffe d'entreprise. Label Gamelle, c'est à la fois une cuisine centrale où sont préparés des repas de qualité, livrés par la suite à des centres d'hébergement d'urgence, des foyers d'aide sociale à l'enfance ou plus récemment des universités, et, une entreprise de l'économie sociale et solidaire oeuvrant à l'insertion professionnelle de publics aux vies individuelles " heurtées ". Restaurer et insérer. C'est l'autre credo porté par la société, lancé dans ce que Christine Merckelbagh décrit comme un " circuit court de la solidarité ". Car, on " embauche directement les personnes qui vivent dans les centres d'hébergement d'urgence pour lesquels on livre les repas ". Un accompagnement plus poussé est également proposé par la structure : aide administrative, recherche de logement, dispense de cours de français et d'informatique mais surtout, la construction minutieuse du parcours professionnel afin de préparer l'après Label Gamelle.
Restaurer et insérer sont les deux missions principales de Label Gamelle / Crédit photo : Sophie LOUBATON Du monde de l'assurance à l'entrepreneuriat solidaireComment tout a débuté pour cette coopérative solidaire qui fêtera ses quatre ans d'existence au mois de novembre ? Il faut d'abord remonter quelques années en arrière, au moment de la prise de conscience d'une cadre dirigeante très bien lotie, qui a travaillé dans l'assurance, un environnement " exigeant " où elle a dirigé jusqu'à 300 personnes. " J'y suis restée vingt ans sur des fonctions différentes, notamment l'organisation et le management, qui m'animaient beaucoup, raconte l'entrepreneure. J'ai une formation de statisticienne et après mes études, j'ai rejoint l'assurance qui n'était pas forcément le monde professionnel qui me faisait rêver enfant ". Après deux décennies à occuper des postes à responsabilité pour le compte de sociétés prestigieuses, elle s'interroge sur la " finalité " de son travail. " J'avais besoin de faire quelque chose de mes mains car j'avais l'impression de ne savoir rien faire. Comme disaient mes enfants à l'époque, toi maman, ton métier, c'est de dire aux autres ce qu'ils doivent faire ".
Il a ainsi fallu à Christine Merckelbagh, plusieurs années de réflexion, une bonne dose de confiance en elle, et un certain optimisme pour oser se reconvertir. Finalement, au milieu de la quarantaine, elle commence un CAP cuisine au sein de la très renommée école Ferrandi. C'est là qu'elle rencontre Vincent Dautry, celui qui deviendra son associé et le cofondateur de Label Gamelle. L'ancien chef cuisinier qui a fait sa carrière dans des restaurants étoilés de la capitale parisienne, a été son enseignant. Désormais, celui qui se chargeait de concocter les divers plats faits maison - du boeuf bourguignon au poulet yassa - vendus aux clients de l'entreprise d'insertion, est chef exécutif de la structure. La mission culinaire a été confiée au chef Mickael Fraga. Si " l'appétence pour le social " a toujours été présente chez elle, Christine Merckelbagh n'aurait jamais cru que le monde de l'économie sociale et solidaire lui aurait ouvert ses portes. " Je n'osais pas y aller, car je pensais que venant du monde dans lequel j'ai évolué, l'ESS ne voudrait pas de moi mais en fait je me censurais, un truc typiquement féminin. "
Construire un écosystème collectifDepuis deux ans, Label Gamelle qui a fait ses premiers pas en tant que SCOP, société coopérative et participative est devenue une SCIC, société coopérative d'intérêt collectif. Elle emploie actuellement 35 salariés en CDI et en CDD d'insertion. " Ça y est, on est une PME ! ", s'enthousiasme la dirigeante, fière du chemin parcouru. L'une des forces de Label Gamelle réside dans son fonctionnement entrepreneurial. " Dès le départ, notre volonté était claire : créer une entreprise qui soit différente, inclusive, à la fois au niveau des personnes employées mais également dans son modèle. Pour nous, l'entreprise appartient à ceux qui y travaillent ". Voilà pourquoi, le passage de la SCOP à la SCIC est loin d'être un choix hasardeux. Les clients de Label Gamelle sont avant tout des partenaires. Avec les différents acteurs du monde social, " on s'est dit que finalement, on n' était pas dans des relations clients fournisseurs et que notre intérêt était le même, faire vivre le collectif ". La gouvernance de la structure se répartie en quatre collèges : ceux des fondateurs, des salariés, des bénéficiaires et des partenaires. Parmi ces derniers, figurent le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, l'association Make Sense ou encore l'assureur d'intérêt général, Klesia. Objectif d'une telle organisation ? " Construire un écosystème avec toutes les parties prenantes car ensemble, on sera plus fort, plus visible. On veut entreprendre autrement, car on pense qu'il y a un monde économique qui peut être beaucoup plus solidaire ", souligne la cofondatrice de l'entreprise à impact, titulaire de l'agrément Esus.
" On consolide notre fonctionnement, on se prépare à essaimer "Création d'une Charte de l'égalité professionnelle femmes-hommes de l'insertion, transition vers le zéro plastique, développement de la Gamelle à roulette, camion créé sur-mesure qui permet de réchauffer et transporter une quantité importante de repas, livrables sur n'importe quel site... Les projets de l'entreprise sur lesquelles oeuvrent Christine Merckelbagh et Sophie Bachmann, responsable opérationnelle au sein de la société, ne manquent pas. Mais, actuellement, Label Gamelle se concentre sur l'agrandissement de son local montreuillois où est abritée sa cuisine centrale et dans le même temps, elle est en train de " s'outiller ". " On met en place un logiciel de GPAO (NDLR : groupement assistée par ordinateur) qui va nous permettre de professionnaliser tout ce qui est commande du client, sortie en livraison, en fait on consolide notre fonctionnement, on se structure, on se prépare à essaimer, et on fait pareil côté insertion ", avance l'entrepreneure, fière du chemin parcouru. Alors qu'elle avait atteint les 80 repas préparés par jour lors de son démarrage, aujourd'hui, la coopérative solidaire franchit quasiment la barre des 2000 repas par jour. Et après une phase de travaux en cours, elle souhaite arriver à 3500 repas par jour. Une visée ambitieuse qui sied bien à la philosophie entrepreneuriale de celle qui a été lauréate en mars dernier du Prix de l'entrepreneur Environnemental et Social du cabinet Boston Consulting Group. " Chez Label Gamelle, on cherche toujours le meilleur, on est exigeant et très humain. D'ailleurs, la première chose qu'on nous dit lorsqu'on reçoit des visites, c'est 'Mais tout le monde sourit ici' ! "
Cet article a été publié initialement sur Big Média Avec Label Gamelle, l'entrepreneuriat rime avec solidarité