Au 4 rue des Crayères, à Reims, où Ruinart révèle son nouvel écrin après trois années de travaux, plane l’ombre de dom Thierry Ruinart. Dans la cour d’honneur, deux interprétations du savant bénédictin se font face dans un dialogue entre passé et présent, à l’image d’une rénovation qui associe bâtiments restés dans leur jus et espaces entièrement repensés par l’architecte Sou Fujimoto, le designer Gwenael Nicolas et le paysagiste Christophe Gautrand. D’un côté, Daphné Du Barry, déjà connue des Rémois pour son Baptême de Clovis sur le parvis de la basilique Saint-Remi, a représenté l’érudit du XVIIe siècle en jeune moine de facture classique, auquel les contours épurés confèrent une aura intemporelle. De l’autre, le Catalan Jaume Plensa livre une pièce futuriste en fonte entremêlant la matière et les mots. Son Dom Thierry Ruinart voit ainsi soudés entre eux des caractères issus de huit alphabets – arabe, chinois, hébreu, latin ou encore russe – jusqu’à leur donner forme humaine et faire écho à la culture littéraire universaliste de son sujet.
Ici, dom Thierry a valeur de symbole. C’est sans doute lui, rappelle Fabien Vallérian, à la tête du département Arts et culture de Ruinart, qui suggéra à son neveu Nicolas de créer la célèbre maison de champagne en 1729. Trois siècles plus tard, celle-ci continue d’associer la création artistique à son activité effervescente, perpétuant une lignée d’esthètes pluri-centenaire. En 1896, déjà, elle fut la première enseigne de champagne à passer commande à un artiste pour réaliser une affiche promotionnelle. Alphonse Mucha, future star de l’Art nouveau, s’y attela, non sans faire des émules dans le petit milieu de la bulle. Aujourd’hui, une quarantaine d’artistes contemporains signent les 110 œuvres réparties, dedans ou dehors, dans les espaces de la Maison métamorphosée et enrichie d’un Jardin de sculptures : 7 000 mètres carrés réinventés par Christophe Gautrand pour accueillir au sein d’une vaste palette végétale, respectueuse de la biodiversité, des œuvres d’art in situ.
Là, plasticiens et sculpteurs, d’origines et de générations différentes, partagent une vision engagée : un lien marqué avec la nature et le souci de sensibiliser aux enjeux écologiques de notre ère. La Parisienne Eva Jospin y dialogue avec l’histoire et les savoir-faire de Ruinart dans un Capriccio monumental élaboré avec du carton, puis contre-moulé en plâtre et résine, telle une folie rococo qui semble habiter ces terres depuis des lustres, destinée à disparaître peu à peu dans la végétation. C’est déjà le cas pour le chandelier en forme de canopée suspendue dans les airs de l’Américaine écoféministe Andrea Bowers qui, à quelques mètres de là, se fond dans le paysage.
Plus loin, le Bavarois Nils Udo, pionnier du land art, a conçu une Pierre géante, variation de son célèbre Nid. Taillée dans une roche calcaire locale, la cavité abrite une coque de marbre, dont la fragilité immaculée renvoie aux flacons centenaires conservés dans les crayères.
A quelques encablures des bois de cerf du Camerounais Pascale Marthine Tayou, ornés de raisins colorés en verre soufflé et de l’impressionnant dispositif du Néerlandais Thijs Biersteker, à mi-chemin entre technologie, expérience interactive et installation plastique. Citons enfin la racine autoportante réalisée à partir de palettes recyclées du Brésilien Henrique Oliveira, qui évoque un cep de vigne surdimensionné. La pièce, tout en ondulations savantes, trône dans la cour d’honneur, à deux pas des dom Thierry de bronze et d’acier.