On n’en attendait pas moins de lui. Alors que plusieurs facs, Sciences-Po en tête, sont en proie à une agitation que l’on dira pudiquement à connotation antisémite, Jean-Luc Mélenchon demande aux étudiants de « mettre des drapeaux palestiniens partout ». À partir du 8 octobre, a-t-il précisé. On s’interroge sur cette date. Le leader insoumis aurait-il été pris d’un accès de décence ? Aurait-il éprouvé quelque compassion pour les victimes du pogrom djihadiste ? En tout cas, il repousse la fête de 24 heures. L’ami Jean-Baptiste Roques me fait remarquer qu’il a lancé cet appel devant le drapeau de l’ONU, ainsi récompensée pour son rôle de fédérateur de la haine d’Israël et des juifs.
C’est la réponse de l’extrême gauche à l’appel à l’ordre du ministre de l’Enseignement supérieur, Patrick Hetzel, qui estime prudemment que les manifestations pro-palestiniennes de ces derniers jours vont « à l’encontre des principes de neutralité et de laïcité ». La bonne blague. En réalité, le ministre redoute à raison que ce 7 octobre soit, dans les universités, un festival d’apologies du terrorisme et de persiflages anti-juifs. Ce qui n’a rien à voir avec la laïcité.
Qu’on en soit là un an après est un révélateur de la fracture béante qui déchire les sociétés occidentales. En France, une partie de la jeunesse, galvanisée par La France insoumise, prend le parti des tueurs, qui est aussi celui de nos ennemis : le Hamas comme le Hezbollah ont du sang français sur les mains. On me dira qu’on peut défendre la Palestine sans être pro-Hamas. En théorie. Mais depuis le 7-Octobre, la cause palestinienne est arraisonnée par les djihadistes et leurs admirateurs. Les activistes qui ostracisent les étudiants juifs, les députés qui applaudissent à l’appel à l’Intifada en France ne veulent pas deux États, mais la destruction d’Israël.
En flattant les sentiments antijuifs d’une partie significative des musulmans, en faisant d’Israël, l’État créé par les survivants de la Shoah, le coupable de tous les maux et singulièrement d’un génocide, ce qui est un mensonge éhonté, les Insoumis brisent le consensus du « plus jamais ça ». Jusque-là, c’était le registre de quelques briscards d’extrême droite, qui déclenchaient des cris d’orfraie à gauche. Dans le dernier numéro de Causeur, Pierre Manent dit son inquiétude face à cette nouveauté : « nous avons désormais affaire en France à un antisémitisme politique explicite. » Camouflé en antisionisme, il devient une idée respectable.
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Bien sûr, La France Insoumise, ce n’est pas la France. Reste que ses partenaires du Nouveau Front populaire, s’ils sont gênés voire plus, n’ont toujours pas proclamé urbi et orbi qu’ils n’avaient rien à voir avec ces alliés objectifs de l’islam politique et de l’antisémitisme. Mais le plus grave, c’est que, si Jean-Luc Mélenchon a choisi son camp, Emmanuel Macron ne choisit pas le sien. Depuis sa proposition inopinée et sans lendemain d’une coalition anti-Hamas, notre président se montre bien plus sévère avec Israël qu’avec le Hamas et surtout avec le Hezbollah. Il a refusé de participer à la marche contre l’antisémitisme, interdit les entreprises israéliennes au salon Eurosatory.
Qu’il se préoccupe des civils palestiniens et demande des comptes à Israël à ce sujet est une chose. Exiger de l’État hébreu des cessez-le-feu revenant à donner la victoire à ses ennemis en est une autre. Au sujet du Liban, on dirait, à l’entendre, que c’est Israël l’agresseur. Il n’a pas jugé utile de saluer l’exécution d’Hassan Nasrallah. Et pour finir, à deux jours du 7 octobre, et au lendemain d’une attaque iranienne que l’Elysée a mis des heures à condamner, il appelle à un embargo sur les livraisons d’armes à l’État hébreu1. Alors qu’Israël doit combattre sur au moins quatre fronts des ennemis qui veulent ouvertement sa destruction, le président de la République française demande qu’on le prive des moyens de se défendre. Alors, d’accord, ce n’est pas du Mélenchon ni du Villepin. Mais ça y ressemble un peu trop sur les bords.
Reste à expliquer cette préférence arabe. Tout d’abord, il y a justement la fameuse politique arabe, très en vogue dans notre diplomatie mais aussi chez les souverainistes canal historique, à droite et à gauche. Les mêmes, il y a quarante ans, s’enthousiasmaient pour les dictatures pseudo-laïques d’Irak et de Syrie. Aujourd’hui, ils invoquent de Gaulle et la prétendue voix française qui parle à tout le monde. Même d’un point de vue cynique, on aimerait bien savoir à quoi nous sert cette merveilleuse politique. Elle ne nous a même pas protégés contre les attentats. Et quant à parler à tout le monde, c’est bien joli mais personne ne nous écoute. Nos liens avec le Hezbollah (que l’on puisse écrire ces mots est en soi sidérant) n’ont pas réussi à le modérer ni à obtenir qu’il respecte la résolution 1701 adoptée en 2006 aux Nations unies. Le président n’a strictement rien obtenu pour les otages français. Et comme protecteur du Liban, on ne peut pas dire qu’il ait brillé.
Cependant, il est probable que le (mauvais) penchant présidentiel réponde surtout à la volonté de ne pas braquer les musulmans. Après tout, il suffit de compter : les juifs, combien de divisions ? D’ailleurs, s’il n’a pas voulu participer à la manifestation contre l’antisémitisme, c’était, disait-il, par souci de l’unité du pays – aveu qu’il ne s’agit pas d’une cause consensuelle mais d’un sujet désormais polémique. Et lui qui aime tant les grands discours et les commémorations fera service minimum pour celle du premier anniversaire du 7-octobre. Il recevra des familles d’otages mais ne devrait pas prendre la parole publiquement. L’électorat que Mélenchon flatte, Macron le ménage.
Ces ambiguïtés ne sont pas seulement problématiques moralement, elles sont aussi politiquement inefficaces, nous condamnant à l’impuissance, à l’extérieur où personne ne nous écoute, même pas les terroristes, et à l’intérieur, où le chef de l’Etat a cessé de mener le combat contre l’islam politique et le séparatisme. Il est vrai que la droite et le bloc central tiennent bon. Mais c’est le président qui parle au nom de la France. Au lendemain du 7-Octobre, François Ruffin déclarait que son parti n’avait pas été à la hauteur des événements. Un an après, c’est un crève-cœur de constater que la France de Macron ne l’est pas non plus.
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