Début août. Julien Gauthier, éleveur de vaches ferrandaises dans le Puy-de-Dôme, répond au téléphone. En fond, des bruits de cloches. Quelques jours plus tard, on le rencontre chez lui, au village de Recoleine à Nébouzat. L’œil est attiré vers son tatouage sur son bras droit : une Ferrandaise. Il la porte dans le sang. Comme pour montrer que cette race de vache revient de loin et que Julien est de ceux qui la perdurent.
Des trombes d’eaux s’abattent sur Nébouzat. Direction la maison familiale. Dans le salon, des cornes de Ferrandaises trônent au-dessus d’une fenêtre. Dans le buffet, des assiettes peintes à l’effigie de la race. Julien pointe du doigt des trophées posés en haut du buffet, récompenses de "présentations" de ses vaches. En même temps, cela fait cinq générations que la famille Gauthier possède un cheptel de Ferrandaises. "Là, tu es dans la pure souche !", rigole Julien. Le décor est planté.
Attachement viscéralOn s’attable. Depuis 2017, l’homme de 45 ans possède un troupeau de 55 vaches laitières. Une race mixte qui, autrefois, était menacée de disparition. Après un apogée dans l’entre-deux guerres, la Ferrandaise chute après la Seconde Guerre mondiale. "La race aurait pu avoir du potentiel, mais la Frisonne était déjà toute prête", explique Julien.
L'éleveur puydômois a la Ferrandaise dans la peau.
Un déclin qui se poursuit et s’aggrave dans les années 1970 et 1980. En 1978, l’association La Ferrandaise est créée. Michel Gauthier, le père de Julien, en gère la présidence pendant bon nombre d’années. La période n’est pas tellement propice à la race, délaissée.
"Fin 1980, début 1990, il ne restait plus que 190 femelles", détaille le fils.
La faute à l’agriculture qui se mécanise : les capacités d’attelage de la Ferrandaise ne font plus le poids. Un personnage entre en scène : Laurent Avon, technicien à l’Institut de l’élevage. Il œuvrera à la sauvegarde des petites races locale, y compris la Ferrandaise. Une aide précieuse. "Un paysan tout seul dans son coin va faire son travail, mais il ne va pas jouer sur la conservation des races, commente Julien Gauthier. La génération la plus difficile, c’était celle de mon père."
"La Ferrandaise, c’est une race du pays, une race du coin", résume-t-il, attablé dans le salon. Le Puy-de-Dôme est son berceau. Chez les Gauthier, la vache, c'est une affaire de famille. Après un BEP agricole et un baccalauréat professionnel Conduite et gestion de l’entreprise agricole (CGEA), Julien reprend la ferme et les Ferrandaises en 2017. Pourquoi continuer avec cette race ?
"Elle me convient, elle va avec ma vision de l’agriculture. Et puis, on le voit, elle est bien capable de faire vivre un homme !"
Dans son village, il est le seul à faire du lait. Il éprouve un attachement viscéral envers ses vaches. "Si on m’enlève mes Ferrandaises et qu’on me demande de faire le paysan avec une autre race, c’est simple, je te dis non".
Les Ferrandaises possèdent des robes barrées, poivrées ou braignées.
"Mon père était pris pour un marginal"Un temps, il avait imaginé un projet pour transformer le lait. "Le seul moyen pour te démarquer. Mais en étant tout seul sur l’exploitation, c’est difficile…", concède-t-il. Ses journées sont rythmées par la traite du matin et celle du soir. En clair, "une journée lambda pour un paysan lambda", s’amuse-t-il. Ce qui lui plaît avec cette race ? "Sa rusticité." Et puis de toute façon, c'est comme ça. L’attachement ne s’explique pas. C’est avant tout sentimental. Il poursuit : "Tant que les vaches arrivent à me faire vivre, ça me va."
Parler des vaches, c’est bien. Aller les voir, c’est mieux. Dans le pré, un décor de carte postale : le vert de l’herbe contraste avec les robes des vaches brunes barrées, poivrées ou braignées. En fond, le puy de Dôme. L’éleveur parle à ses bêtes comme il parlerait à un enfant. Julien s’exclame : "La Ferrandaise est vraiment dans son pays d’origine !"
Le hasard fait bien les choses, juste au-dessus du pré de Julien se trouve Jean-François Ondet, un temps vice-président de l’association La Ferrandaise. Chapeau de paille et brin d’herbe entre les dents, les deux éleveurs causent de leur attachement à la race. Jean-François confirme les arguments de Julien sur sa rusticité, et ajoute : "Il y a moins de frais vétérinaires et alimentaires."
La Ferrandaise a donc tout pour elle. Pour l’heure, Julien n’a pas d’idée de qui pourrait reprendre les rênes de l’exploitation. Une piste cependant : certains jeunes, qui prônent un retour vers une agriculture dite classique. D’une manière générale, il espère que les mentalités changeront sur ce choix assumé de la Ferrandaise. "À l’époque, mon père était pris pour un marginal. Aujourd’hui, les gens se rendent compte qu’il avait raison."
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Texte : Adrien Fillon - Photos : Hervé Chellé