En décidant de travailler sur Fleetwood Mac, Sophie Rosemont avait conscience qu’elle s’attaquait “à un monument du rock, au sujet duquel beaucoup de gens avaient leur propre idée”. N’en étant pas dépourvue elle-même, la journaliste (qui travaille notamment pour Les Inrockuptibles), autrice et désormais réalisatrice – il s’agit de son premier documentaire –, savait parfaitement où elle voulait aller. Avec Les Mille et une vies musicales de Fleetwood Mac, Sophie Rosemont s’est attachée à remettre en lumière “toutes ces figures” qui ont fait le succès, le génie, la dinguerie et la longévité de ce groupe aussi improbable que polymorphe.
À commencer par ses entités féminines, Christine McVie et Stevie Nicks, dont il fallait rappeler l’importance, notamment en termes de songwriting. S’il ne s’agissait pas de “réécrire l’histoire”, la portée féministe de Fleetwood Mac, groupe à géométrie (très) variable qui a connu son âge d’or alors que deux musiciennes officiaient dans ses rangs, n’a évidemment pas échappé à Sophie Rosemont, connue pour son travail autour des femmes dans le rock (lire Girls Rock, paru en 2019).
Le documentaire évoque ainsi le caractère incontournable des titres composés par l’une ou l’autre, dont Rhiannon, œuvre de Stevie Nicks qui signera là pour le groupe son premier tube à longue portée et le fera basculer du même coup, en cette année 1975, dans l’ère du succès et de la démesure. Ou encore de Dreams (Nicks à la manœuvre, toujours), l’un des morceaux les plus connus et emblématiques du Fleetwood Mac période Los Angeles, redécouvert par toute une génération via TikTok en 2021 (un skateur en panne de voiture décidait de se rendre au travail sur sa planche et filmait sa déambulation au son de l’hymne soft rock).
Si Stevie Nicks fut pour la réalisatrice “une porte d’entrée idéale” afin de pénétrer dans l’univers occulte de Fleetwood Mac, l’artiste bénéficiant d’une aura spectaculaire et d’une filiation musicale tentaculaire (nombre d’artistes contemporain·es, de Florence + The Machine à Lizzo en passant par Taylor Swift ou Courtney Love revendiquent son legs), sa bandmate Christine McVie n’est pas laissée pour compte et le film rend autant hommage à ses talents de compositrice (elle a notamment signé le titre Don’t Stop sur l’album Rumours) qu’à sa force de caractère.
Surtout, c’est l’alliance des deux femmes, dès leur première rencontre et alors que tout les oppose, que révèle le documentaire, bien loin des clichés sur la rivalité féminine que l’histoire du rock a largement contribué à entretenir. McVie et Nicks ont, au contraire, scellé dès le premier jour une indéfectible amitié – une vraie sororité, dirait-on aujourd’hui –, que ni le milieu misogyne dans lequel elles évoluaient, ni les histoires d’amour et de sexe n’ont jamais entachée.
Outre les femmes, certes centrales mais tout de même pas seules, on croise bien sûr la route de Mick Fleetwood (batterie) et John McVie (basse), membres fondateurs, tout à la fois section rythmique et centre de gravité de cette formation en perpétuelle révolution. Si Sophie Rosemont ne veut pas minimiser le rôle du guitariste Lindsey Buckingham, qui a intégré le groupe en compagnie de Stevie Nicks en 1974 et marqué le son de Fleetwood Mac au cours de cette décennie, notamment en tant qu’arrangeur, le film s’attache aussi, dans sa première partie, à célébrer le génie de Peter Green, “Le Syd Barrett de Fleetwood Mac”, comme le surnomme la documentariste, membre fondateur du groupe qui a quitté le navire en 1970 pour des raisons aussi éthiques que mystiques.
C’est à travers des images d’archives minutieusement choisies et agencées, mais aussi par la parole d’une ribambelle d’invité·es qui dissèquent à cœur ouvert leur amour pour le groupe (Alex Kapranos, Shawn Lee, Sasha Spielberg, alias Buzzy Lee, ou encore Weyes Blood, qui considère que Fleetwood Mac sont “les Beatles d’Amérique”), que Sophie Rosemont réussit à restituer, l’histoire de Fleetwood Mac par le prisme de ses dynamiques souterraines et de ses talents conjugués. Une histoire dont le climax rime avec mixité, rareté qui, à elle seule, méritait largement qu’un film s’y attarde.
Les Mille et une vies musicales de Fleetwood Mac de Sophie Rosemont, diffusé vendredi 13 septembre à 22h30 sur Arte et disponible jusqu’au 13 octobre sur Arte.fr.